Conversations des gens du monde/La Vacance des Spectacles

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Conversations des gens du monde dans tous les tems de l’annéeImprimerie PolytypeTome II (p. 5-75).


LA VACANCE
DES
SPECTACLES.


PREMIÈRE JOURNÉE.

PERSONNAGES.

Séparateur


M. DE SAINT-ARLI, père.
Mme . DE SAINT-ARLI.
LA COMTESSE.
LA BARONNE DE FLINGUES.
Mme . DE PERANGIE.
M. DE SAINT-ARLI.
LE PRÉSIDENT.
M. DE VAUBOIS.
RIRI, enfant.
LA BONNE.
DUPRÉ, Valet-de-Chambre de Mme . de Saint-Arli.


La scène est chez Madame de Saint-Arli.

Scène première.

M. DE SAINT-ARLI, LE PRÉSIDENT.
M. de Saint-Arli.

Entre donc ici, Président.

Le Président.

C’est que j’attendois ces Dames.

M. de Saint-Arli.

Elles ne viendront pas si-tôt

Le Président.

Pourquoi donc ?

M. de Saint-Arli.

N’y a-t’il pas l’Audience des Ouvriers, des Marchands ?

Le Président.

Ah ! oui.

M. de Saint-Arli.

Parbleu, tu as bien fait de venir nous demander à dîner.

Le Président.

Je craignois de ne te pas trouver.

M. de Saint-Arli.

Ils n’ont jamais voulu me laisser aller à la Campagne ces fêtes, parce que mon beau-frère part pour son Régiment.

Le Président.

Il est bienheureux ! moi, j’ai réellement affaire ici.

M. de Saint-Arli.

Mais n’êtes-vous pas en vacances, cette quinzaine ?

Le Président.

Sans doute ; aussi ce n’est pas une affaire de Palais qui me retient.

M. de Saint-Arli.

Pourquoi n’étois-tu donc pas Vendredi à Longchamps ?

Le Président.

Et j’y étois à cheval, je t’ai parlé.

M. de Saint-Arli.

Cela est vrai.

Le Président.

N’avons-nous pas vu ensemble cette voiture angloise si extraordinaire, que Bienville a achetée, parce que personne n’en vouloit ?

M. de Saint-Arli.

Et pourquoi cela ?

Le Président.

C’est qu’elle ne vaut rien du tout ; nous l’avons suivie deux heures, croyant toujours qu’elle alloit rompre.

M. de Saint-Arli.

Qu’est-ce qui étoit dedans ?

Le Président.

C’étoient les quatre Gilets.

M. de Saint-Arli.

Pourquoi donc les nomme-t’on comme cela ?

Le Président.

Ma foi, je n’en sais rien ; c’est sûrement parce qu’ils ont été des premiers à en porter, & qu’on les voit toujours ensemble.

M. de Saint-Arli.

Il est vrai que cette mode-là ne vient pas de la Cour.

Le Président.

Elle a pourtant fait fortune avec les gens qui en sont.

M. de Saint-Arli.

Oui, à présent elle est entièrement reçue.

Le Président.

Mais, c’est qu’il n’y a rien de si commode.

M. de Saint-Arli.

C’est ce qu’on dit toujours de toutes les modes nouvelles.


Scène II.

Mme . DE SAINT-ARLI, M. DE SAINT-ARLI pere,
LE PRÉSIDENT, M. DE SAINT-ARLI.
Mad. de Saint-Arli.

Eh bien, Monsieur le Président, vous vous chauffez ?

Le Président.

Ma foi, Madame ; c’est qu’il fait froid comme en plein hiver.

Mad. de Saint-Arli.

On n’a jamais vu un tems comme cela à Pâques !

M. de Saint-Arli pere.

On dit toujours, quand nous y serons, nous serons sauvés, & il a encore gelé cette nuit & assez fort.

Le Président.

A cela près, on me mande qu’il fait assez beau à la Campagne, qu’il y fait sec.

M. de Saint-Arli père.

Oui ; mais l’humidité est dans l’intérieur ; rien n’est si mal-sain, & l’on a tort de s’y exposer.

Mad. de Saint-Arli.

Président, aimez-vous toujours la musique ?

Le Président.

Oui, Madame ; j’en fais très-souvent, & d’excellente !

Mad. de Saint-Arli.

Est-il vrai qu’il y a une Chanteuse Italienne au Concert, comme il n’y en a jamais eu ?

Le Président.

C’est-à-dire, Madame, à certains égards ; c’est une belle voix ; mais elle chante trop à la françoise.

Mad. de Saint-Arli.

Qu’appellez-vous chanter à la françoise ?

Le Président.

C’est-à-dire, qu’on ne la croiroit pas Italienne.

M. de Saint-Arli.

Oui, on ne pourroit pas la contrefaire ?

Le Président.

Non, sa voix sort entièrement.

M. de Saint-Arli.

C’est qu’il contrefait à merveille, le Président ; c’est son grand talent.

Mad. de Saint-Arli.

Ah ! voilà ma fille !


Scène III.

Mme . DE SAINT-ARLI, LA COMTESSE, LE PRÉSIDENT,
M. DE SAINT-ARLI père, M. DE SAINT-ARLI.
La Comtesse.

Oui, me voilà ; j’ai voulu aller m’habiller tout de suite.

M. de Saint-Arli père.

Vous appellez cela être habillée ?

La Comtesse.

Oui, papa ; on va par-tout en mousseline, en toile, depuis long-tems.

M. de Saint-Arli père.

Oui, dans sa Loge, aux Spectacles publics ; mais à une Comédie particulière, & chez quelqu’un que l’on ne connoît pas ?

Le Président.

Cela est reçu, Monsieur.

M. de Saint-Arli père.

Ma foi, je ne m’y accoutumerai jamais.

La Comtesse.

Je ne sais pas pourquoi ; rien n’est si commode.

M. de Saint-Arli père.

Cela peut être commode ; mais je ne le trouve pas décent.

Mad. de Saint-Arli.

Où est donc votre enfant, ma fille ?

La Comtesse.

Sa Bonne va l’amener tout-à-l’heure.

Le Président.

Il doit être grand, à présent, Madame la Comtesse ?

La Comtesse.

Mais, sûrement ; vous le verrez.

Le Président.

Parle-t’il ?

La Comtesse.

Comment, s’il parle ! Il a de la mémoire, & il en aura même beaucoup.

Le Président.

Ah ! je vous demande pardon.

M. de Saint-Arli père.

Ne sait-il pas une Fable, ma fille ?

La Comtesse.

Il en sait bien deux, papa.

Le Président.

Et comment s’appelle-t’il ?

La Comtesse.

Riri.

Le Président.

Pourquoi, Riri ?

La Comtesse.

Parce que son père s’appelle le Comte Henri, & qu’il a le même nom.

Le Président.

Mais, le frère du Comte s’appelle le Marquis d’Ormaillé.

La Comtesse.

Oui, & lui, le Comte Henri, pour les distinguer.

Le Président.

Vous êtes donc la Comtesse Henri, vous, Madame ?

La Comtesse.

Sûrement.

Le Président.

Je ne comprends pas cela. D’abord qu’il y a le Marquis & le Comte, les voilà distingués.

La Comtesse.

Oui ; mais ils ont tous deux des enfans.

Le Président.

Je le sais bien.

M. de Saint-Arli père.

Tenez, Monsieur le Président, je vais vous expliquer cela tout-à-l’heure, moi.

Le Président.

Je vous en serai obligé.

M. de Saint-Arli père.

Rien n’est plus facile, & vous allez l’entendre tout de suite.

Le Président.

J’écoute.

M. de Saint-Arli père.

Prenez votre Almanach, & vous verrez que les Princes étrangers se nomment les Princes Auguste, Frédéric, Maximilien, &c.

Le Président.

Cela est vrai.

M. de Saint-Arli père.

C’est un usage parmi eux, ici cela est devenu une mode.

Le Président.

Ah ! ce n’est que cela ?

M. de Saint-Arli père.

Eh ! vraiment non ; mais on y croit de la grandeur.

La Comtesse.

Ah ! j’entends mon fils.


Scène IV.

LA COMTESSE, Mme . DE SAINT-ARLI, M. DE SAINT-ARLI père, LE PRÉSIDENT, M. DE SAINT-ARLI, RIRI, LA BONNE.
La Comtesse.

Viens, viens, mon petit Riri. (Elle l’embrasse.)

La Bonne.

Madame, je ne pouvois pas le tenir ; pendant qu’on l’habilloit, il disoit toujours : Veux aller voir belle maman, veux aller voir belle maman, & il étoit comme un juif-harang.

La Comtesse.

Comment le trouvez-vous mon fils, Monsieur le Président ?

Le Président.

Ah ! Madame, je le trouve charmant !

La Bonne.

Eh bien ! Monsieur, vous ne dites rien, à bon papa, à bonne maman ?

Riri.

Jou papa.

M. de Saint-Arli père.

Qu’est-ce qui aura du bonbon ?

Riri.

Riri.

La Comtesse.

Ah ! mon papa, ne lui donnez rien.

M. de Saint-Arli père.

Cela vous est bien aisé à dire ; moi, je veux qu’il m’aime ; & puis, ce sont des croquignoles.

Le Président.

Cela doit être bon pour attendrir les gencives & faire percer les dents.

La Comtesse.

Que dites-vous donc là, Monsieur ? nous les avons toutes.

Le Président.

Je vous demande bien pardon.

La Bonne.

Ah ! Monsieur, vous n’avez pas tort, il y a des enfans qui sont en retard ; mais Riri est très-avancé pour son âge.

Le Président.

Cela vous fait honneur, la Bonne.

La Bonne.

Monsieur a bien de la bonté. Allons, Riri, & bonne maman, vous ne lui dites rien.

Riri.

Jou, bonne maman.

Mad. de Saint-Arli, le baisant.

Mademoiselle, il va casser ma boîte.

La Bonne.

Laissez la boîte à bonne maman.

Riri.

Je veux pas, moi.

La Bonne.

En voilà une autre. Ah ! elle est bien plus belle celle-là.

La Comtesse.

Président, n’est-il pas vrai qu’il a de beaux yeux, mon fils ?

Le Président.

Il a les vôtres, ainsi cela n’est pas étonnant.

La Comtesse.

La Bonne, fais-lui dire une Fable pour Monsieur le Président.

La Bonne.

Laquelle, Madame ?

La Comtesse.

Celle que tu voudras.

La Bonne.

C’est que nous en savons deux, Monsieur. Vous allez voir, vous allez voir.

La Comtesse.

Allons, regardez Monsieur le Président, Riri.

La Bonne.

Dites-donc : La Cigale…

Riri.
Dites-donc : La Cigale…Ayant santé,

Tout l’Été,

Le Président.

Fort bien !

La Bonne.

Se trouva…

Riri.

Se trouva…Fo dépouvue

La Bonne.

Lorsque la bise…

Riri.

Lorsque la bise…Fut venue ;

La Bonne.

Elle alla…

Riri.

Elle alla…Crier famine,

La Bonne.

Chez la…

Riri.

Chez la…Fourmi

La Bonne.

Chez la…Fourmi…Sa

Riri.

Chez la…Fourmi…Sa…Voisine.

La Bonne.

A ces mots…

Riri.

A ces mots…Le Corbeau…

La Bonne.

A ces mots…Le Corbeau…Ne se sent…

Riri.

A ces mots…Le Corbeau…Ne se sent…Pas de joie ;

La Bonne.

Il ouvre…

Riri.

Il ouvre…Un large bec…

La Bonne.

Il ouvre…Un large bec…Laisse tomber…

Riri.

Il ouvre…Un large bec…Laisse tomber…Sa proie.

La Bonne.

Le Re…

Riri.

Le Re…nard s’en saisit,

La Bonne.

Le Renard s’en saisitEt dit :…

Riri.

Le Renard s’en saisitEt dit :…Mon beau Monsieur,

La Bonne.

Que faisiez-vous…

Riri.

Que faisiez-vous…Au tems saud ?

La Bonne.

Je…

Riri.

Je…Santois, ne vous déplaise.

La Bonne.

Eh bien…

Riri.

Eh bien…Dansez maintenant.

Le Président.

Fort bien ; c’est à merveille !

La Comtesse.

Tu as un peu embrouillé tout cela, ma Bonne.

La Bonne.

Cela se peut bien, Madame.

Le Président.

Au contraire ; cela a fait voir qu’il savoit les deux Fables.

La Comtesse.

N’est-ce pas, qu’il aura de la mémoire ?

Le Président.

Mais, il en a déjà.

La Bonne.

Oh ! Monsieur, si vous l’aviez vu ce matin, il m’a dit ces deux Fables, lui-même, tout seul, comme un charme.

Le Président.

Je le crois bien.

Riri.

Veux m’en aller, veux, m’en aller.

La Bonne.

Eh bien, Riri ?

Riri.

Veux m’en aller, veux m’en aller.

La Bonne.

Comment, vous voulez quitter comme cela votre belle maman, votre bonne maman, & votre bon papa, qui vous a donné du bonbon ?

Riri.

Veux m’en aller, veux m’en aller, moi.

La Comtesse.

Allons, allons, emmène-le.

La Bonne.

Quand il est comme cela, il est comme un Suisse, il n’entend pas raison.

Riri.

Veux m’en aller, ma Bonne ; moi veux m’en aller.

La Comtesse.

Allons, va-t’en donc, la Bonne.

Riri, pleurant.

M’en aller, moi.

La Comtesse.

Ne le contrarie pas.

La Bonne.

Allons, allons, mon petit Riri.

La Comtesse.

Fais-le goûter.

La Bonne.

Oui, Madame.

Riri, pleurant.

M’en aller, moi, m’en aller.

La Bonne.

Allons, allons.


Scène V.

LA COMTESSE, Mme . DE SAINT-ARLI, LE PRÉSIDENT,
M. DE SAINT-ARLI père, M. DE SAINT-ARLI.
La Comtesse.

Tant qu’il sera avec moi, je ne veux pas qu’on le contrarie ; parce que je veux qu’il m’aime.

M. de Saint-Arli père.

Ma fille, vous en ferez un enfant gâté.

La Comtesse.

Oh ! que non ; mais je veux qu’i fasse tout ce qui lui fera plaisir.

M. de Saint-Arli.

Oui ; & quand il sera au Collège, s’il est accoutumé à faire sa volonté, ses camarades le corrigeront.

La Comtesse.

Il n’ira point au Collège, il restera avec moi. Je veux seulement avoir un Précepteur bien doux & bien honnête.

M. de Saint-Arli.

Oui, & bien bête.

La Comtesse.

Non ; je veux qu’il ait de l’esprit. Trouvez-moi cela, Monsieur le Président.

Le Président.

Ce que vous demandez-là, Madame, est trop difficile.

La Comtesse.

Pourquoi donc ?

M. de Saint-Arli père.

Il faut laisser faire votre mari, ma fille, cela le regarde.

La Comtesse.

Oui, lui, qui le jette en l’air, & qui le retient dans ses mains, pour l’accoutumer à ne pas avoir peur. Si je le laissois faire, il lui donneroit un Grenadier pour Precepteur, peut-être.

M. de Saint-Arli père.

Il est sûr qu’il ne faut pas élever les garçons comme des filles.

La Comtesse.

Ah ! je vous en prie, papa, ne parlons jamais de cela devant le Comte.

M. de Saint-Arli père.

C’est votre affaire ; je ne m’en mêlerai pas.

La Comtesse.

Ah ! voilà la Baronne !

M. de Saint-Arli.

Allons nous-en, Président.

Le Président.

Je le veux bien.

La Comtesse.

Adieu, Monsieur le Président.


Scène VI.

Mme . DE SAINT-ARLI, LA COMTESSE, LA BARONNE,
M. DE SAINT-ARLI père, DUPRÉ.
Dupré.

Madame la Baronne de Flingues.

La Comtesse.

Ah ! vous êtes charmante, mon chat, d’être venue de bonne-heure.

La Baronne.

C’est que j’ai beaucoup de choses à faire avant d’aller à la Comédie. Madame de Saint-Arli, pouvez-vous me traiter comme cela ? & vous aussi, Monsieur ?

Mad. de Saint-Arli.

Approchez-vous donc du feu, Madame la Baronne.

La Baronne.

Je vous assure, Madame, qu’on est fort aise d’en trouver aujourd’hui : ma belle-mère ne peut pas le souffrir, elle a toujours trop chaud, & nous gelons tous chez elle.

M. de Saint-Arli.

C’est qu’elle est habillée un peu plus chaudement que vous, peut-être.

La Baronne.

Oh ! je vous en réponds, elle a toujours trois manteaux l’un sur l’autre.

Mad. de Saint-Arli.

Vous n’êtes pas comme cela, vous, Madame ?

La Baronne.

Je ne pourrois pas y tenir.

La Comtesse.

N’êtes-vous pas habillée comme moi, mon chat ?

La Baronne.

Mais oui ; comme tout le monde ; je n’ai sous ceci que ma chemise.

Mad. de Saint-Arli.

Quoi, point de corset ?

La Baronne.

Non, Madame, fi donc ! Je n’en mets jamais ; cela grossit la taille, que c’est affreux !

La Comtesse.

Voilà ce que je dis à maman ; elle croit que je suis la seule comme cela.

Mad. de Saint-Arli.

Et moi, qu’est-ce que je vous réponds ? Que vous aurez des maladies, dont toutes ces imprudences-là seront l’origine.

La Comtesse.
.

Oh ! que non, maman.

Mad. de Saint-Arli.

Madame, vous serrez-vous aussi comme ma fille ?

La Baronne.

Il le faut bien, Madame, un peu.

Mad. de Saint-Arli.

C’est-à-dire, beaucoup.

Mad. de Saint-Arli.

Et quand vous êtes grosse ?

La Baronne.

Oh ! mais, quand je suis grosse…

M. de Saint-Arli.

Vous faites la même chose ?

La Baronne.

Mais, il le faut bien.

Mad. de Saint-Arli.

Et vous vous trouvez mal, à chaque instant ?

La Baronne.

Quand on est grosse, cela est tout simple.

Mad. de Saint-Arli.

Ma fille ne l’est pas, & elle se trouve mal très-souvent.

La Baronne.

Madame, cela ne vient pas de là, & puis on se desserre quand on veut.

La Comtesse.

Sûrement ; d’ailleurs, il faut bien être mise comme tout le monde ; & puis demandez aux Peintres, s’ils ne conviennent pas que les femmes n’ont jamais été plus jolies, mieux faites & mises de meilleur goût.

M. de Saint-Arli.

Mais, au moins, j’aurois une bonne pelisse bien fourrée, quand il fait froid.

La Baronne.

Oui, à Pâques, ! Il est excellent, Monsieur de Saint-Arli !

M. de Saint-Arli.

Je n’en vois même guères avant, depuis quelque tems ; je ne sais pas pourquoi.

La Comtesse.

Je vous l’ai dit, papa ; cela abîme toutes les garnitures des chemises & de tous les habits.

La Baronne.

On a de grands manteaux de mousseline ; cela est tout aussi chaud.

M. de Saint-Arli.

La Mousseline ?

La Baronne.

Oui, Monsieur.

M. de Saint-Arli.

Quelle folie, de sacrifier sa santé à la mode !

La Baronne.

Ah ! çà, mon chat, quand vous voudrez, nous nous en irons.

La Comtesse.

Vous me menez ?

La Baronne.

Sûrement ; j’ai compté là-dessus.

La Comtesse.

Partons. Adieu papa, adieu maman.

Mad. de Saint-Arli.

Je vous en prie, ma fille ; ménagez-vous.

La Comtesse.

Oui, oui, maman.

La Baronne.

Que voulez-vous donc faire, Monsieur de Saint-Arli ?

M. de Saint-Arli.

Vous conduire, Madame la Baronne.

La Baronne.

Vous voulez donc que j’oublie que vous m’appeliez votre enfant, autrefois.

M. de Saint-Arli.

A présent, cela est bien différent.

La Baronne.

Si vous venez, je croirai que vous ne m’aimez plus.

Mad. de Saint-Arli.

Allons, Monsieur de Saint-Arli, laissez-les aller ; vous leur faites perdre leur tems.

M. de Saint-Arli.

Ah ! oui ; elles ont de grandes affaires !

La Comtesse.

Mais, sûrement. Embrassez-moi donc, papa.

M. de Saint-Arli.

Allons, soyez un peu plus raisonnable.

La Baronne.

Oh ! nous le sommes très-fort.


Scène VII.

Mme . DE SAINT-ARLI, M. DE SAINT-ARLI.
Mad. de Saint-Arli.

irez-vous, Monsieur, cette après-dîner ?

M. de Saint-Arli.

Mais, je ne sais pas trop ; peut-être au Concert.

Mad. de Saint-Arli.

Quoi ! entendre cette Chanteuse Italienne ?

M. de Saint-Arli.

Mais oui ; puisqu’ils disent qu’elle chante à la françoise.

Mad. de Saint-Arli.

Elle vous ennuiera.

M. de Saint-Arli.

Cela pourra bien arriver.

Mad. de Saint-Arli.

Et puis, vous aurez froid à ce Concert.

M. de Saint-Arli.

Je n’y resterai pas.

Mad. de Saint-Arli.

Vous devriez plutôt aller voir cette pauvre Madame de Firmont.

M. de Saint-Arli.

De quoi la plaignez-vous donc ?

Mad. de Saint-Arli.

Comment ! vous ne savez pas qu’elle a perdu sa fille, qui est morte d’une chûte qu’elle a faite en tombant de cheval au Bois de Boulogne ?

M. de Saint-Arli.

Pardonnez-moi.

Mad. de Saint-Arli.

On dit qu’elle en est inconsolable.

M. de Saint-Arli.

Elle ne la pouvoit pas souffrir.

Mad. de Saint-Arli.

Il est vrai, & elle n’avoit que trop de raisons de s’en plaindre.

M. de Saint-Arli.

En ce cas-là, je n’irai pas la voir ; j’enverrai m’y faire écrire. Où souperez-vous ce soir ?

Mad. de Saint-Arli.

Ici. Vous savez que nous avons du monde.

M. de Saint-Arli.

Je vous jure que je n’en savois rien.

Mad. de Saint-Arli.

Comment ! est-ce que nous n’avons pas pris jour pour arranger les propositions de mariage de votre fils ?

M. de Saint-Arli.

Il est vrai ; quoi ! c’est pour ce soir ?

Mad. de Saint-Arli.

Mais, sûrement.

M. de Saint-Arli.

Allons, je reviendrai.

Mad. de Saint-Arli.

Vous l’aviez oublié, réellement ?

M. de Saint-Arli.

Mais oui, cela n’est pas étonnant ; moi, je ne vois pas trop pourquoi vous voulez que je marie Saint-Arli.

Mad. de Saint-Arli.

Parce que nous le tenons encore, & que s’il prend une fois son vol tout-à-fait, s’il nous échappe, nous ne pourrons plus l’y déterminer.

M. de Saint-Arli.

Et le voyage de Rome, qu’il compte faire ce printems ?

Mad. de Saint-Arli.

En le mariant, il n’y pensera plus.

M. de Saint-Arli.

Tant mieux ! Ce sera avoir beaucoup gagné, que de l’en détourner ; les voyages peuvent donner aux jeunes gens le goût de l’indépendance & de la liberté ; ils peuvent se croire une espèce de supériorité sur ceux qui sont restés tranquillement chez eux à s’occuper de leurs affaires, & ils peuvent ne leur paroître que des gens dont les vues ne sauroient s’étendre au-delà de ce qu’ils connoissent.

Mad. de Saint-Arli.

Et voilà comme on apprend à n’estimer que soi & à ne croire qu’en ses lumières.

M. de Saint-Arli.

Et puis, voulez-vous que je vous dise une chose que j’ai toujours pensée ; c’est qu’il est impossible qu’il ne se mêle au goût des arts, qui guide ou qui sert de prétexte à un jeune voyageur, un désir libertin de connoître les femmes dès différens pays ; & ce ne seront sûrement pas les plus vertueuses qu’ils rechercheront.

Mad. de Saint-Arli.

Entre nous, voilà ce que je crains ; c’est un libertinage constant, qui ruine tôt ou tard un homme, garçon ou marié.

M. de Saint-Arli.

Et je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’aller bien loin pour apprendre à s’y livrer.

Mad. de Saint-Arli.

La personne que nous avons choisie, plaît à Saint-Arli ; il est capable de s’y attacher.

M. de Saint-Arli.

Il est vrai ; mais il ne faut pas la séparer de ses parens : quoiqu’ils soient fort riches, ils sont très-sages, ils n’ont que des connoissances raisonnables ; ce sont des exemples rares dans ce tems-ci.

Mad. de Saint-Arli.

Quoi ! vous ne logerez pas votre fils chez vous ?

M. de Saint-Arli.

Mais, en conscience, le pouvons-nous ?

Mad. de Saint-Arli.

Pourquoi pas ? La maison est assez grande, & ils seront très-bien dans les deux appartemens que je leur destine.

M. de Saint-Arli.

J’en conviens.

Mad. de Saint-Arli.

Ne trouverez-vous pas bien doux de vieillir au milieu de vos enfans & de vos petits-enfans ? On en jouit sans cesse en s’en voyant entourés ; ils contribuent continuellement à votre bonheur. Si vous vous en séparez, vous devenez isolés, vous ne recevez d’eux que des attentions froides, qui s’affoiblissent & s’éloignent de jour en jour.

M. de Saint-Arli.

Vous avez raison ; c’est se priver du spectacle le plus doux pour la vieillesse : mais comment s’établira-t’il ? qui peut vous en répondre ?

Mad. de Saint-Arli.

Je ne vous entends pas.

M. de Saint-Arli.

Si vous voulez que je vous parle à cœur ouvert, je craindrois que la tournure & l’exemple de votre fille ne détruisît bientôt cette simplicité de mœurs que nous comptons trouver dans la femme de Saint-Arli. Cet empire de la mode s’empareroit bientôt d’elle, & en imitant sa belle-sœur, la distance que la Comtesse voudroit mettre entre elles deux, la désespéreroit. L’union ne peut s’établir dans une famille, que par l’égalité des conditions ; sans quoi, la moitié de votre génération est malheureuse du bonheur de l’autre.

Mad. de Saint-Arli.

Vous m’affligez, réellement.

M. de Saint-Arli.

Nous avons fait une grande faute, ma femme !

Mad. de Saint-Arli.

Je ne vous entends que trop ! Mais nous n’avons rien à reprocher au Comte ?

M. de Saint-Arli.

Certainement.

Mad. de Saint-Arli.

Je ne connois pas de plus galant homme.

M. de Saint-Arli.

Ni de meilleur ami, ni de meilleur conseil.

Mad. de Saint-Arli.

Il est fâché de toutes les étourderies de sa femme, mais il ne lui en parlera jamais ; il voudroit seulement pouvoir l’arrêter sur la dépense.

M. de Saint-Arli.

Cela sera bien difficile.

Mad. de Saint-Arli.

Je lui en parlerai, moi.

M. de Saint-Arli.

Et moi, je vois bien que je payerai tout.

Mad. de Saint-Arli.

C’est le moindre des malheurs.

M. de Saint-Arli.

J’entends quelqu’un. Je veux sortir absolument.

Mad. de Saint-Arli.

Eh bien, passez par chez moi.


Scène VIII.

Mme . DE SAINT-ARLI, M. DE VAUBOIS, DUPRÉ.
Dupré.

Monsieur de Vaubois.

Mad. de Saint-Arli.

Quoi ! c’est bien vous ?

M. de Vaubois.

Oui, vraiment ; c’est moi-même : me voilà réchappé encore une fois.

Mad. de Saint-Arli, le faisant asseoir.

Allons, mettez-vous là.

M. de Vaubois.

Je suis fort bien.

Mad. de Saint-Arli.

Vous ne devriez pas sortir, par le froid qu’il fait.

M. de Vaubois.

Au contraire ; on m’a dit que cela me donneroit de ressort ; & puis, je ne m’expose pas trop à l’air, sur-tout le soir ; à la bonne heure quelquefois le matin, quand il fait un rayon de soleil.

Mad. de Saint-Arli.

Il est dangereux, le soleil, au Printems.

M. de Vaubois.

Oui, quand il est plus fort.

Mad. de Saint-Arli.

Vous m’avez bien inquiétée, au moins.

M. de Vaubois.

Je n’en suis pas surpris, Madame ; toute votre amitié m’est connue, & je la chéris comme je le dois ; on ne peut y être plus sensible.

Mad. de Saint-Arli.

Je n’étois pas la seule inquiète.

M. de Vaubois.

Eh bien, moi, je n’ai eu d’autre inquiétude que de voir la tristesse qui étoit peinte sur tous les visages. Je me disois : On croit qu’il faut montrer de l’intérêt aux malades, & l’on se compose un visage triste ; on veut se faire estimer d’eux, & l’on ne pense qu’à soi.

Mad. de Saint-Arli.

Celas est bien vrai ; on leur cache l’espérance que l’on peut avoir de leur guérison, en les en assurant.

M. de Vaubois.

D’autres fois, je croyois qu’on me cachoit quelque évènement arrivé à mes enfans ; voilà ce que j’imaginois.

Mad. de Saint-Arli.

On reconnoît bien là le cœur d’un père.

M. de Vaubois.

Écoutez donc ; on nous prête la vie, nous la rendons, & nous voulons bien qu’on la prête à d’autres ; mais nous n’aimons pas qu’elle soit perdue.

Mad. de Saint-Arli.

Vous avez-là une bonne philosophie, une philosophie de père de famille.

M. de Vaubois.

Comme on n’aime pas à finir, on croit se voir revivre dans ses enfans & dans ses petits-enfans ; cela prolonge l’existence.

Mad. de Saint-Arli.

Toutes vos filles sont mariées, je crois ?

M. de Vaubois.

Et fort bien ; il ne me reste plus que mon fils à pourvoir.

Mad. de Saint-Arli.

Madame de Vaubois doit être bien contente de votre rétablissement.

M. de Vaubois.

Est-ce qu’elle n’est pas allée à Vaubois ?

Mad. de Saint-Arli.

Quoi, déjà ?

M. de Vaubois.

Oui ; elle en reviendra bientôt : elle est allée avec mon fils, pour donner des ordres & faire tout préparer, pour que nous puissions nous y établir, quand le tems sera assez beau pour cela.

Mad. de Saint-Arli.

Sur toutes choses, ne vous pressez pas.

M. de Vaubois.

Je n’ai jamais été impatient, moi.

Mad. de Saint-Arli.

Cela est fort heureux !

M. de Vaubois.

Et puis, je veux leur donner le tems de préparer leur fête.

Mad. de Saint-Arli.

Ils vous donnent une fête ?

M. de Vaubois.

Je me l’imagine ; car vous pensez bien qu’on ne m’en dit pas le mot, & j’ai grand soin d’avoir l’air de ne m’en pas douter ; mais on me cache tant de choses & avec tant de soins, on me fait tant de mystères, que cela m’instruit presque autant que si j’étois dans la confidence. Savez-vous de quoi je m’occupe depuis que je vois tout cela ?

Mad. de Saint-Arli.

Non. De quoi ?

M. de Vaubois.

Vous ne le devineriez jamais.

Mad. de Saint-Arli.

Dites donc ?

M. de Vaubois.

Vous vous mocquerez de moi.

Mad. de Saint-Arli.

Pourquoi ?

M. de Vaubois.

Vous en rirez, au moins.

Mad. de Saint-Arli.

Je vous dis que non.

M. de Vaubois.

Eh bien, je vais vous le dire. J’ai passé toute la matinée tout seul, devant mon miroir.

Mad. de Saint-Arli.

Vous ?

M. de Vaubois.

Oui ; à me composer un visage de surprise, pour leur faire plaisir.

Mad. de Saint-Arli.

Pour cela, vous êtes un homme bien charmant !

M. de Vaubois.

Il faut bien rendre fête pour fête ; c’est là ce qu’ils attendent de moi, c’est une dette que j’acquitterai.

Mad. de Saint-Arli.

Et avez-vous réussi ?

M. de Vaubois.

Mais, tenez, voyez. Les yeux ouverts, comme cela, & les doigts écartés.

Mad. de Saint-Arli.

A merveilles ! & où avez-vous pris cela ?

M. de Vaubois.

Dans les têtes d’expression de Le Brun, dont j’ai le recueil.

Mad. de Saint-Arli.

Pour cela, vous avez des idées bien gaies ?

M. de Vaubois.

Écoutez donc : la vraie gaieté part de l’ame ; c’est là sa source. Je n’ai jamais goûté une satisfaction plus vive & plus pure que celle que j’éprouve depuis ma dernière maladie, & vous devez en juger vous-même, en voyant quelle est ma folie.

Mad. de Saint-Arli.

En vérité, vous me faites envier votre sort.

M. de Vaubois.

Cependant, je ne les tromperai pas long-tems ; quand ils auront joui de ma feinte surprise, je leur raconterai toutes les études que j’ai faites pour parvenir à leur exprimer ce que je ne pouvois pas éprouver, ayant découvert, par leurs imprudences, tous les soins qu’ils se donnoient pour me préparer une fête, & je veux les faire rire d’eux mêmes & de toutes leurs mal-adresses.

Mad. de Saint-Arli.

Vous goûtez dans votre famille des plaisirs bien rares !

M. de Vaubois.

C’est mon fils qui conduit tout cela ; il les grondera bien, & nous en rirons encore davantage.

Mad. de Saint-Arli.

Il a beaucoup d’esprit, de talens & d’imagination, Monsieur votre fils.

M. de Vaubois.

Et encore plus de sensibilité, Madame.

Mad. de Saint-Arli.

Je le crois aisément ; il faut bien qu’il tienne de vous. Est-ce que vous ne pensez pas à le marier !

M. de Vaubois.

Pardonnez-moi.

Mad. de Saint-Arli.

Eh bien, avec toutes les richesses qu’il aura, vous pouvez lui trouver un excellent parti.

M. de Vaubois.

Si nous ne voulions que du bien, nous en trouverions de reste.

Mad. de Saint-Arli.

Je n’en doute pas.

M. de Vaubois.

C’est du bonheur que nous lui voudrions. M’entendez-vous ?

Mad. de Saint-Arli.

Je crois vous deviner.

M. de Vaubois.

Trouvez-vous cela bien aisé ?

Mad. de Saint-Arli.

Hélas ! non, trop malheureusement !

M. de Vaubois.

Mon fils voit de même que moi ; il n’est point aveuglé par une passion.

Mad. de Saint-Arli.

C’est peut-être tant mieux pour lui.

M. de Vaubois.

Il aime toutes les femmes en général ; il leur trouve une tournure séduisante, agréable ; de la grace & du goût.

Mad. de Saint-Arli.

Il ne vous parle pas de leur cœur ?

M. de Vaubois.

Entre nous, je pense qu’il n’y croit pas beaucoup.

Mad. de Saint-Arli.

Les croit-il coquettes ?

M. de Vaubois.

C’est-à-dire, il croit à leur coquetterie d’ajustement, au desir qu’elles ont de ressembler aux filles qui se mettent le mieux ; mais il ne croit pas aux passions, il craindroit même d’en inspirer une violente à la femme qu’il épouseroit, il n’en voudroit pas non plus avoir une violente pour elle : il voudroit une femme d’esprit, qui eût plus de raison que de sensibilité.

Mad. de Saint-Arli.

Cela ne sauroit pourtant former une union bien délicieuse !

M. de Vaubois.

Il n’y croit pas : tout ce qu’il entrevoit, sans oser l’espérer, c’est le rapprochement que les enfans font naître entre le père & la mère. Il croit être sûr de se bien conduire, de ne jamais donner d’exemple dangereux à sa femme, & il voudroit qu’elle fût capable de n’en point chercher ailleurs.

Mad. de Saint-Arli.

Il faudroit qu’il fût possible que cette femme pensât comme on pense dans votre famille.

M. de Vaubois.

Il faudroit pour cela qu’elle ne sortît jamais, & on ne peut pas l’exiger.

Mad. de Saint-Arli.

Il faut bien s’en garder.

M. de Vaubois.

De tout cela, je vois qu’on en revient à une ancienne question. Comment répondre de ce que peut devenir une fille, quand elle sera femme ?

Mad. de Saint-Arli.

On sait seulement qu’il en existe de fort sensées & de fort raisonnables.

M. de Vaubois.

Et de fort aimables, même. Je dis tout cela à mon fils, savez-vous ce qu’il me répond ?

Mad. de Saint-Arli.

Je ne l’imagine pas.

M. de Vaubois.

On sait, dit-il, qu’il y a beaucoup de lots à la lotterie ; mais on ne sait jamais qui les gagne.

Mad. de Saint-Arli.

Ce qui fait plus de tort aux femmes à présent, c’est leur goût pour la dissipation, plutôt que leurs mœurs.

M. de Vaubois.

Mon fils n’attaque pas leur vertu ; il ne veut point d’amour, il ne sera pas jaloux : mais que voulez-vous qu’on dise à des jeunes gens pour les engager à se marier ? Ils en savent plus long que nous ; ils voient, & ils pratiquent.

Mad. de Saint-Arli.

Moi, je crois que l’éducation que l’on donne à présent aux jeunes personnes, les mène toutes au point où elles en sont, dès qu’elles sont mariées.

M. de Vaubois.

L’éducation la plus sévère n’y fait rien ; j’ai vu de jeunes personnes élevées dans l’Isle Saint-Louis, plus dissipées que d’autres après le mariage.

Mad. de Saint-Arli.

Vous avez raison ; ce sont les mauvais exemples & les mauvaises connoissances qui font tout.

M. de Vaubois.

Voulez-vous que je vous dise quelle est la cause du renversement des têtes des femmes ?

Mad. de Saint-Arli.

Oui.

M. de Vaubois.

Eh bien, ce sont les Spectacles.

Mad. de Saint-Arli.

Vous le croyez ?

M. de Vaubois.

Je m’explique. Ce ne sont pas les Pièces qu’on y donne ; souvent elles ne les écoutent pas : mais ce sont les moyens multipliés qu’elles ont de sortir tous les jours pour y aller.

Mad. de Saint-Arli.

Vous voulez dire les petites Loges ?

M. de Vaubois.

Sûrement. Il y en avoit peu, autrefois ; encore n’étoit-ce qu’à l’Opéra, où il étoit du grand air d’en avoir.

Mad. de Saint-Arli.

Il est vrai que dans ma jeunesse, j’allois très-rarement au Spectacle, en comparaison de ce que j’y vais actuellement. Il falloit trouver une autre femme, louer une Loge entière, quelquefois ; tout cela étoit fort difficile.

M. de Vaubois.

A présent, les femmes y vont comme elles veulent, à l’heure qu’elles veulent ; elles sont toujours sûres d’y avoir du monde, & elles trouvent cela fort commode.

Mad. de Saint-Arli.

Je ne suis pas une femme à air, & j’ai des Loges à tous les Spectacles, plus pour mes enfans que pour moi.

M. de Vaubois.

Vous avez cru, comme tout le monde, faire une économie ?

Mad. de Saint-Arli.

Mais, oui.

M. de Vaubois.

Et vous n’avez procuré à vos enfans, qu’une occasion continuelle de dissipation : les femmes ne peuvent plus rester chez elles, de-là est venu le bon air de se montrer par-tout ; elles veulent être mises comme toutes celles qu’elles voient ; elles envient le bonheur de celles qui font le plus de dépenses, les Marchands leur en fournissent les moyens par des crédits ruineux, & ce ne sont plus des ménagères qu’on épouse ; ce sont des dépensières : je ne parle pas de tout ce qui suit quelquefois cette dissipation, & des malheurs qu’elle entraîne ; cela est trop effrayant !

Mad. de Saint-Arli.

Vous avez bien raison.

M. de Vaubois.

Je ne veux pas vous attrister davantage, & je m’en vais.

Mad. de Saint-Arli.

Attendez donc que je sonne. Ah ! tenez, voyez si Monsieur de Vaubois a ses Gens.

Dupré.

Ils y sont, Madame.

M. de Vaubois.

Eh bien ! vous vous levez ?

Mad. de Saint-Arli.

Allons, je resterai. Ayez bien soin de vous.

M. de Vaubois.

Oui, oui.


Scène IX.

Mme . DE SAINT-ARLI, Mme . DE PERANGIE, DUPRÉ.
Dupré.

Madame de Perangie.

Mad. de Saint-Arli.

Ah ! Madame, je ne vous croyois pas à Paris.

Mad. de Perangie.

Vous sentez bien que par le froid qu’il fait, je n’ai pas été trop empressée de partir pour la campagne.

Mad. de Saint-Arli.

Mais, Monsieur de Perangie doit être très-empressé lui d’aller voir éclore ses fleurs ; voici la saison.

Mad. de Perangie.

Il n’est plus occupé que de ses gazons.

Mad. de Saint-Arli.

Est-ce que c’est un Jardin à l’angloise qu’il fait actuellement ?

Mad. de Perangie.

Oui, vraiment ; tout son Jardin n’est plus qu’une prairie immense, depuis qu’il a été en Angleterre.

Mad. de Saint-Arli.

Comment, il a abattu ses bois ?

Mad. de Perangie.

Oui, Madame ; pour les reculer prodigieusement, il sacrifie tout à l’étendue & à la vue.

Mad. de Saint-Arli.

Et y en a-t’il de la vue, à Perangie ?

Mad. de Perangie.

Mais, pas trop ; c’est un pays plat, où la plupart des haies de nos voisins nous cachent tout l’horizon.

Mad. de Saint-Arli.

Vous n’avez donc plus de couvert pour vous promener ?

Mad. de Perangie.

Nous n’en aurons que dans dix ans ; parce que le bois vient fort mal dans ce terrein-là.

Mad. de Saint-Arli.

Et avez-vous de l’eau ?

Mad. de Perangie.

Monsieur de Perangie dit qu’il en aura. Il fait faire une pompe à feu, qui donnera, à ce qu’on lui assure, continuellement de l’eau gros comme le bras.

Mad. de Saint-Arli.

Vous avez donc des sources ?

Mad. de Perangie.

Quand la pompe à feu sera faite, on fera venir Bleton.

Mad. de Saint-Arli.

Oui ; mais il faut qu’il y ait de l’eau dans le pays.

Mad. de Perangie.

Monsieur de Perangie dit qu’en creusant, toujours on en trouve, & qu’il n’a aucune inquiétude là-dessus.

Mad. de Saint-Arli.

Cela vous coûtera cher.

Mad. de Perangie.

Pas à moi ; nous sommes mariés séparés de biens, il ne sauroit me ruiner ; & comme il me laisse faire tout ce que je veux, je ne le contrarie pas.

Mad. de Saint-Arli.

Cela est fort bien ; mais cependant, dès les premiers jours du printems, il vous mène à Perangie.

Mad. de Perangie.

Oui, pour quinze jours, & avec tout le monde qui me plaît, après cela, je le laisse avec ses Ouvriers, & tout le reste de l’année j’ai ma liberté.

Mad. de Saint-Arli.

Vous n’avez jamais eu d’enfans, je crois ?

Mad. de Perangie.

Non, & nous ne nous en sommes souciés ni l’un ni l’autre. Quand on ne vit pas beaucoup ensemble, on n’a pas trop ce desir-là.

Mad. de Saint-Arli.

Vous passez donc tout l’été avec vos parens ?

Mad. de Perangie.

Point du tout ; ils ne sont pas assez gais pour cela. Dans le commencement de mon mariage, je me croyois obligé de les voir beaucoup, & j’étois contrariée sans cesse sur tout ce que je faisois.

Mad. de Saint-Arli.

Vous ne deviez pas trouver cela agréable.

Mad. de Perangie.

Et puis, ils ont un ton de l’autre monde ; c’est-à-dire, celui de la province la plus éloignée.

Mad. de Saint-Arli.

Ce ne sont pas eux qui vous ont élevée ?

Mad. de Perangie.

Point du tout ; c’étoit une tante fort aimable que j’avois, qui étoit jeune, gaie, spirituelle, charmante, & elle avoit un goût !… dès l’instant qu’une mode étoit inventée, elle étoit la première à la suivre. Ah ! j’ai beaucoup perdu en la perdant !

Mad. de Saint-Arli.

C’étoit donc elle qui vous avoit mariée ?

Mad. de Perangie.

Oui, Madame. Monsieur de Perangie la voyoit souvent, parce qu’il en étoit amoureux ; elle ne l’aimoit pas elle : il s’avisa de lui faire une déclaration, elle le prit sur le haut ton ; il crut l’avoir offensée, réellement ; il lui demanda pardon, & la permission de continuer à la voir. Elle prit sur le champ un parti : comme il étoit riche, elle lui dit qu’il n’y avoit qu’un moyen de s’attacher à elle, qui étoit de m’épouser : n’osant refuser, il accepta la proposition ; & comme on avoit dit à ma tante qu’il aimoit fort la dépense, elle nous fit séparer de biens en nous mariant.

Mad. de Saint-Arli.

Et il y consentit ?

Mad. de Perangie.

Il se piquoit de générosité ; il étoit léger, agréable, cela ne lui fit rien du tout, le mariage fut conclu tout de suite.

Mad. de Saint-Arli.

Cela n’étoit pas malheureux pour vous.

Mad. de Perangie.

Non ; car je suis riche, & jouissant de mon bien, j’en fais ce que je veux.

Mad. de Saint-Arli.

Aussi, vous êtes toujours mise à ravir !

Mad. de Perangie.

A vous dire vrai, c’est une de mes plus grandes jouissances, d’avoir tout ce qu’il y a de plus nouveau.

Mad. de Saint-Arli.

Vous avez là une étoffe qui est délicieuse !

Mad. de Perangie.

Elle est très-nouvelle ; je l’ai trouvée jolie, & j’en ai acheté six autres de la même Manufacture, qui sont charmantes !

Mad. de Saint-Arli.

Je suis bien aise de voir que vous ne vous mettez jamais en mousseline, en gaze, en linon.

Mad. de Perangie.

Moi ! Ah ! mon Dieu, toujours : c’est que je suis aujourd’hui d’un souper de noces qui se sera de bonne-heure ; & comme ces jours-ci il n’y a point de spectacles, je me suis habillée avant de sortir ; parce qu’il y aura bien des choses, un opéra comique, de l’artifice, de la danse, du jeu, tout ce qu’il y a de plus charmant !

Mad. de Saint-Arli.

Je vois que vous menez la vie du monde la plus heureuse.

Mad. de Perangie.

Quand je me porte bien.

Mad. de Saint-Arli.

Vous me paroissez de la meilleure santé.

Mad. de Perangie.

Aujourd’hui, je me trouve assez bien ; je voudrois être toujours de-même : mais des obstructions, des nerfs, qui me mettent souvent dans l’état le plus déplorable, me rendent fort à plaindre.

Mad. de Saint-Arli.

Cela est très-malheureux.

Mad. de Perangie.

Si vous voulez, cependant ; je n’en puis pas être absolument fâchée ; car c’est à cela que je dois ma liberté, le plaisir de faire tout ce que je veux, & moi j’appelle cela une jouissance.

Mad. de Saint-Arli.

C’est la payer un peu cher.

Mad. de Perangie.

Que voulez-vous ? Madame, vous faites-là un bien bel ouvrage ! à ce qu’il me paroît.

Mad. de Saint-Arli.

C’est un meuble, pour ma fille.

Mad. de Perangie.

Moi, je ne fais plus que des gilets, tous les hommes m’en demandent. Je trouve que c’est un ouvrage charmant !

Mad. de Saint-Arli.

Je n’en suis pas surprise, Madame, quand on a votre goût.

Mad. de Perangie.

Ce n’est pas cela ; c’est qu’on a fait des bourses si long-tems, que cela devenoit fastidieux à la longue. Ah ! çà, Madame, je crains de vous avoir détournée.

Mad. de Saint-Arli.

Point du tout, Madame, & je suis on ne peut pas plus flattée que vous vous soyez souvenue de moi.

Mad. de Perangie.

Mais toujours, Madame, je vous prie de le croire. J’étois venue aussi pour Madame votre fille ; c’étoit ce qui m’avoit fait sortir si-tôt.

Mad. de Saint-Arli.

Elle est allée à une Comédie particulière.

Mad. de Perangie.

Ah ! elle est bien heureuse ! c’est tout ce que j’aime ! Ah ! çà, Madame, je vous prie de ne pas vous déranger.

Mad. de Saint-Arli.

Je vais passer dans le sallon, Madame ; je vous demande bien pardon de vous avoir reçue ici.

Mad. de Perangie.

Par-tout où j’ai l’honneur de vous voir, je suis toujours très-bien.

Mad. de Saint-Arli.

Je connois votre honnêteté, & je vous en fais mille remerciemens.

Mad. de Perangie.

Je vous assure que je suis enchantée d’avoir eu le bonheur de vous trouver.

Mad. de Saint-Arli.

Ma fille sera bien fâchée, quand elle saura que vous vous êtes donné la peine de venir la chercher.

Mad. de Perangie.

Où voulez-vous donc aller, encore ?

Mad. de Saint-Arli.

Allons, je vous laisse ; mais prenez bien garde au froid.