Conversations des gens du monde/Le Carême

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Conversations des gens du monde dans tous les tems de l’annéeImprimerie PolytypeTome I (p. 305-392).


LE CARESME.


CINQUIÈME JOURNÉE.

PERSONNAGES.

Séparateur


Mme. DE PERANVAL.
M. DE PERANVAL.
M. DE BLANCOUR.
M. DE LORVILLE.
Mme. DE VERTAVILLE.
Mme. DE LEZI.
M. DE CLERA.
LA MARQUISE DE BELLE-RIVE.
LA PRÉSIDENTE DE NORGA.
LE PRÉSIDENT DE NORGA.
LE COMTE DE VERMILLY.
LABRIE, Valet-de-Chambre de Mme. de Peranval.


La scène est chez Madame de Peranval.

Scène première.

M. DE PERANVAL, LABRIE.
Labrie.

Monsieur de Blancour est chez Monsieur.

M. de Peranval.

Dites-lui que je le prie de passer ici.

Labrie.

Le Cocher demande s’il faut mettre les chevaux.

M. de Peranval.

Mais, sûrement ; tout de suite.

Labrie.

Il fait la voiture ?

M. de Peranval.

Non, attendez.

Labrie.

Est-ce la neuve ?

M. de Peranval.

Non, l’autre.


Scène II.

M. DE PERANVAL, LABRIE, M. DE BLANCOUR.
Labrie.

Monsieur de Blancour.

M. de Peranval.

Eh d’où diable sors-tu donc, Blancour ?

M. de Blancour.

Je viens de Vertaville, où nous avons passé les jours-gras.

M. de Peranval.

A Vertaville ! toi ?

M. de Blancour.

Sans doute.

M. de Peranval.

Quoi ! tu n’étais pas Lundi au Bal de l’Opéra ?

M. de Blancour.

Je te jure bien que non.

M. de Peranval.

Qu’est-ce qui donnoit donc le bras à Madame de Gremiere ?

M. de Blancour.

Ma foi, je n’en sais rien ; il y a un mois que je ne l’ai vue.

M. de Peranval.

L’aurois-tu quittée ?

M. de Blancour.

Non ; c’est elle qui m’a fait cet honneur-là.

M. de Peranval.

Et pourquoi diable ne l’as-tu pas prévenue ?

M. de Blancour.

Premièrement, parce qu’on ne tire plus vanité de cela, & que j’avois d’autres raisons encore.

M. de Peranval.

Et quelles raisons ?

M. de Blancour.

Je pensois à une autre femme ; je ne voulois pas qu’elle me crût capable d’un mauvais procédé, & je voulois avoir une confidence à lui faire de mes malheurs en amours.

M. de Peranval.

Quelle idée ?

M. de Blancour.

Cette conduite m’a très-bien réussi avec ces deux femmes. La première est légère, folle, vaine, & la dernière est sensible, délicate, romanesque enfin, elle m’a plaint.

M. de Peranval.

Eh bien, après ?

M. de Blancour.

Elle m’a consolé.

M. de Peranval.

Tu dois avoir passé de tristes jours-gras avec ta nouvelle conquête ?

M. de Blancour.

Mais, non ; nous avons chassé, joué au billard, au trictrac, fait la meilleure chère du monde, & j’ai gagné assez d’argent.

M. de Peranval.

Il a fait un tems affreux.

M. de Blancour.

Nous n’y avons pas pris garde ; la maison étoit bien échauffée, & il n’y a que moi qui ne suis pas revenu enrhumé.

M. de Peranval.

Je vois que ta passion ne t’a pas trop occupé.

M. de Blancour.

Écoute-donc, quand on n’a plus vingt-ans….

M. de Peranval.

Je comprends à merveille ; mais les femmes ne sont pas de même, moins elles sont jeunes, & moins elles sont légères.

M. de Blancour.

Tu as raison, je n’y ai pas pensé assez-tôt, & cela commence à m’inquiéter un peu.

M. de Peranval.

Voilà ce que je trouve à redouter pour toi.

M. de Blancour.

Oui, cela deviendra très-embarrassant, très-incommode.

M. de Peranval.

Tu peux compter qu’elle te demandera compte de toutes tes démarches.

M. de Blancour.

Je lui dirai que j’ai beaucoup d’affaires à Versailles.

M. de Peranval.

Cela est bon pour les Dimanches, on n’y va guère que ces jours-là, quand on n’a pas une place à la Cour.

M. de Blancour.

Allons, j’ai tort ; parbleu, je ne sais pas à quoi j’ai pensé !

M. de Peranval.

Ce qu’il y a à craindre encore ; c’est qu’elle ne te donne aucun sujet de te plaindre, qu’elle ne te fasse pas la moindre infidélité, dont tu puisses tirer avantage.

M. de Blancour.

Vraiment, elle ne m’a que trop assuré de sa constance, & j’en étais enchanté comme un sot ; parce que je n’en prévoyois pas les suites.

M. de Peranval.

Et tu t’es donné, toi, pour un amant malheureux par sa délicatesse, & par une fidélité à toute épreuve, un sentiment que rien ne peut jamais altérer ?

M. de Blancour.

Sûrement ; je ne lui ai que trop débité de toutes ces misères-là.

M. de Peranval.

Il faut voir ; tout n’est peut-être pas si désespéré.

M. de Blancour.

Comment, que veux-tu dire ?

M. de Peranval.

Moi, rien ; mais c’est que…, J’entends quelqu’un.


Scène III.

M. DE PERANVAL, M. DE BLANCOUR, M. DE LORVILLE, LABRIE.
Labrie.

Monsieur de Lorville.

M. de Lorville.

Ah ! Messieurs, je suis bien aise de vous trouver ensemble ! toi, Peranval, parce que j’ai besoin de toi ; & toi, Blancour, parce que tu m’aideras à le persuader de faire ce que je desire de lui.

M. de Blancour.

C’est donc une affaire de grande conséquence ?

M. de Lorville.

Oui, pour moi ; quand je dis de conséquence, c’est-à-dire, pourtant, comme cela ; mais réellement, tu me ferois le plus grand plaisir.

M. de Peranval.

Allons, au fait.

M. de Lorville.

M’y voici. Une femme qui me convient très-fort & avec qui je me suis arrangé depuis peu, a un mari, qui n’est pas jaloux, mais qui n’aime pas une assiduité trop marquée auprès de sa femme ; on ne sait pas pourquoi ; je dis, on n’y comprend rien.

M. de Peranval.

Eh bien ?

M. de Lorville.

Ce mari a fait une Comédie.

M. de Blancour.

Bonne ?

M. de Lorville.

C’est-à-dire……

M. de Peranval.

Qu’elle ne vaut rien.

M. de Lorville.

Je ne dis pas cela ; il y a sûrement de l’esprit, parce que l’Auteur en a beaucoup.

M. de Blancour.

Et qui est-il ?

M. de Lorville.

Vous le connoissez tous deux, je vous le dirai après.

M. de Peranval.

Quel mystère ?

M. de Lorville.

Voici ce que j’ai imaginé.

M. de Blancour.

Pour t’établir dans sa maison ?

M. de Lorville.

Oui ; d’accord avec sa femme. Je lui ai persuadé qu’il falloit qu’il nous fît jouer sa Pièce, dans la quinzaine de Pâques, où l’on est privé de Spectacles.

M. de Peranval.

Il y a consenti ?

M. de Lorville.

Très-fort ; il a été enchanté de ma proposition. Je me suis chargé de lui trouver des Acteurs, & il ne nous manque qu’un Valet ; j’ai compté que tu me ferois le plaisir de te charger de ce rôle-là.

M. de Peranval.

Je ne le puis pas absolument. Mais, pourquoi Blancour ne s’en chargeroit-il pas ?

M. de Blancour.

Moi ?

M. de Peranval.

Oui.

M. de Lorville.

Je l’ai bien proposé à la Dame ; mais elle m’a dit qu’il était un homme à sentiment, & qu’il ne joueroit pas bien un rôle gai ; je ne sais où diable elle a pris cela.

M. de Blancour.

Quoi ! c’est Madame de Vertaville ?

M. de Lorville.

Elle-même.

M. de Blancour.

Je ne comprend pas… Comment, c’est elle qui ?…

M. de Lorville.

Cela te confond, je sais bien pourquoi.

M. de Blancour.

Comment, tu le sais ?

M. de Lorville.

Oui, parce que tu as passé avec nous les jours-gras, sans te douter de la moindre chose.

M. de Blancour.

Je n’en reviens pas ! il est vrai.

M. de Lorville.

Tu n’as été occupé que de jouer aussi ; on ne voit rien ailleurs avec ce goût-là.

M. de Peranval.

Ecoutes-donc, Blancour ; il faut que tu fasses absolument ce rôle de Valet, cela te divertira.

M. de Lorville.

Oui, & son sentiment.

M. de Peranval.

Il s’en débarrassera.

M. de Lorville.

Mais, c’est que Madame de Vertaville compte que tu l’accepteras, & en conséquence, elle doit venir ici cette après-dîner, pour engager Madame de Peranval à passer la quinzaine chez elle à la campagne.

M. de Peranval.

Oui ; & Longchamp, donc ? Elle n’y consentira jamais.

M. de Lorville.

Elle n’y viendra que le Samedi, & toi, tu y viendras plutôt, à cause des répétitions.

M. de Peranval.

Non, non ; Blancour fera le rôle.

M. de Lorville.

La voici, je crois. Non ; c’est Madame de Peranval.


Scène IV.

Mme. DE PERANVAL, M. DE PERANVAL, M. DE LORVILLE, M. DE BLANCOUR.
Mad. de Peranval.

Ah ! ah ! que faites-vous donc ici, tous les trois ?

M. de Lorville.

Nous vous attendions, Madame.

Mad. de Peranval.

Messieurs, je suis bien aise de vous voir ; vous m’aiderez à confondre M. de Peranval, sur sa négligence.

M. de Blancour.

Sur quoi donc ?

Mad. de Peranval.

Sur une voiture qu’on me fait pour Longchamps, qui ne sera jamais prête, s’il ne veut pas presser davantage les Ouvriers.

M. de Peranval.

Je ne puis pas tout faire. Depuis deux mois, je ne suis occupé que de vous faire avoir l’attelage, que vous avez enfin depuis ce matin.

M. de Blancour.

C’est celui qu’on avoit fait venir pour l’Ambassadeur.

M. de Peranval.

Oui, vraiment, & il est cher.

M. de Lorville.

Je te l’avois dit ; mais c’est un attelage superbe, il n’y en a point de pareil à Paris.

M. de Blancour.

Oui ; il est d’un bai clair charmant !

Mad. de Peranval.

Et à quoi me serviront ces bêtes, si ma voiture n’est pas faite ?

M. de Peranval.

Elle le sera.

Mad. de Peranval.

Si je m’en mêle ; car sans cela…

M. de Lorville.

Qu’est-ce qui la fait ?

Mad. de Peranval.

Je n’en sais rien ; il n’a pas voulu me le dire.

M. de Peranval.

Qu’est-ce que cela vous feroit ?

M. de Lorville.

N’est-ce pas Vincent ?

M. de Peranval.

Lui-même.

M. de Blancour.

Elle sera faite admirablement bien !

M. de Lorville.

C’est sans doute une voiture angloise ?

M. de Peranval.

Sûrement.

M. de Blancour.

Il ne faut pas oublier, qu’elle doit s’annoncer de loin, par le bruit.

Mad. de Peranval.

Voilà ce que j’aurois demandé à l’Ouvrier, si je l’avois connu.

M. de Peranval.

Eh ! Madame, laissez-moi faire, je vous réponds que vous en serez contente.

M. de Lorville.

Vous pouvez en être bien sûre ; vous devez savoir que personne n’a plus de goût que lui.


Scène V.

Mme. DE PERANVAL, Mme. DE VERTAVILLE, M. DE BLANCOUR, M. DE LORVILLE, M. DE PERANVAL, LABRIE.
Labrie.

Madame de Vertaville.

Mad. de Peranval.

Quoi, Madame, vous sortez de si bonne-heure ! & par ce vilain tems-là, encore !

Mad. de Vertaville.

Je voulois vous trouver, Madame ; d’ailleurs, j’ai monté à cheval ce matin, & le tems ne m’a pas paru trop mauvais.

Mad. de Peranval.

Mettez-vous donc là.

Mad. de Vertaville.

Non, je veux être auprès de vous.

Mad. de Peranval.

En vérité, vous êtes charmante ! Pourquoi donc a-t’on été si long-tems sans vous voir ?

Mad. de Vertaville.

C’est que j’arrive de Vertaville.

Mad. de Peranval.

Par le tems qu’il a fait tous ces jours-ci ?

Mad. de Vertaville.

Oui. Ah ! voilà Monsieur de Peranval ! Vous ne venez plus chez moi, monsieur, j’en suis furieuse.

Mad. de Peranval.

C’est qu’il n’est pas aisé de vous trouver, Madame ; vous vous renfermez souvent, à ce que l’on m’a dit.

Mad. de Vertaville.

Mais, c’est que si l’on ne prend pas quelques momens pour lire, on n’est au fait de rien. Je ne vous ai pas vu, Monsieur de Blancour.

M. de Blancour.

Madame, c’est que j’ai été à Versailles, & je n’en suis revenu que dans l’instant.

Mad. de Vertaville.

Heureusement que vous n’y restez pas.

M. de Peranval.

Non ; mais il ira bien plus loin.

Mad. de Vertaville.

Comment donc, plus loin !

M. de Peranval.

Oui, Madame ; quand on suit les Affaires étrangères, on est exposé à s’éloigner tout d’un coup.

Mad. de Vertaville.

Que dites-vous donc, Monsieur de Peranval ?

M. de Peranval.

Je ne dis son secret, que parce qu’il n’en sera peut-être bientôt plus un.

Mad. de Vertaville.

Concevez-vous quelque chose à ce qu’il dit là, Monsieur de Blancour ?

M. de Blancour.

Il se divertit un peu à mes dépens ; j’en conviens.

Mad. de Vertaville.

Il est donc instruit de vos affaires ?

M. de Lorville.

Bon ! il sait tout Peranval ; je ne sais pas comment il fait.

M. de Peranval.

Ma foi, c’est que j’écoute tout ce qu’on me dit ; voilà tout mon savoir.

Mad. de Vertaville.

Je crois, Madame, que vous ne comprenez rien à tous ces propos-là ?

Mad. de Peranval.

Moi ? Je vous assure que je ne peux plus écouter les hommes, quand ils ont l’air de s’entendre entre eux.

Mad. de Vertaville.

Vous pourriez bien avoir raison.

Mad. de Peranval.

C’est qu’ils ont l’air de vouloir mettre de la finesse, avec leur ton enigmatique, & tout cela me fait pitié ; car cela prouve combien un secret leur pèse, & tous leurs mystères deviennent autant de sujets d’indiscrétions. Ils croyent cependant nous intriguer beaucoup.

Mad. de Vertaville.

Et nous avons souvent deviné d’avance, tout ce qu’ils croyent nous cacher.

Mad. de Peranval.

Ils ne nous croyent pas dignes d’être dans leurs confidences, & s’ils nous parlent à nous, sur-tout les maris, ce n’est que pour critiquer nos modes & nos ajustemens.

Mad. de Vertaville.

Oui, & ne trouvez-vous pas qu’ils sont mis bien décemment avec leurs gilets ?

Mad. de Peranval.

Et avec beaucoup de goût, sur-tout, avec les deux mains dans les poches qui sont sur le haut du ventre. Ce qui me met véritablement en colère, c’est de voir qu’il y a des femmes qui ont la sotise de broder de ces gilets.

M. de Lorville.

Elle a de l’humeur contre nous, aujourd’hui, Madame de Peranval.

M. de Peranval.

Bon ! c’est sûrement à cause de sa voiture.

Mad. de Vertaville.

Madame, que je vous dise donc.

Mad. de Peranval.

Quoi, Madame ?

Mad. de Vertaville.

Qu’est-ce que vous faites la quinzaine de Pâques ?

Mad. de Peranval.

Mais ; bien des choses.

Mad. de Vertaville.

C’est que je compte beaucoup sur vous pour Vertaville.

Mad. de Peranval.

J’ai trois engagemens différens, auxquels je ne saurois manquer, sans compter plusieurs autres que j’ai refusés.

Mad. de Vertaville.

Mais, c’est que si vous n’y venez pas, nous n’aurons pas non plus Monsieur de Peranval, peut-être.

Mad. de Peranval.

Pourquoi donc faire ?

Mad. de Vertaville.

C’est pour jouer dans une pièce de Monsieur de Vertaville, où je comptois que vous voudriez bien prendre aussi un rôle.

Mad. de Peranval.

Moi ? je ne veux jamais jouer la Comédie.

Mad. de Vertaville.

Pourquoi donc cela ? Avec une figure comme la vôtre, vos, graces, votre esprit & votre goût, vous devez être sûre de toujours réussir.

Mad. de Peranval.

J’aurois tout cela, que je ne voudrois pas m’exposer à la critique.

Mad. de Vertaville.

Mais, j’ai donc tort de jouer, moi ?

Mad. de Peranval.

Je ne dis pas cela.

M. de Peranval.

Et vous avez bien raison ; car on dit, Madame, que vous jouez les rôles de sentiment, à merveille ! N’est-ce pas, Blancour ?

M. de Blancour.

Oui, c’est Lorville qui me l’a dit.

Mad. de Peranval.

Vous voyez bien, Madame, que je ne pourrois jamais avoir autant de talens que vous.

Mad. de Vertaville.

Je vous assure, Madame, que vous nous manquerez beaucoup ; pour Monsieur de Peranval, je compte sur lui pour un rôle de valet.

M. de Peranval.

Non, Madame ; c’est Blancour qui s’en charge.

Mad. de Vertaville.

Point du tout.

M. de Lorville.

J’ai déjà dit, Madame, que ce rôle-là ne sauroit lui convenir, c’est-à-dire, que vous le pensiez.

Mad. de Vertaville.

Je lui crois beaucoup de talens, mais…

M. de Peranval.

Je vous réponds qu’il le jouera à merveille ; c’est sans doute Lorville qui fait l’amoureux ?

Mad. de Vertaville.

Oui ; il a bien voulu s’en charger.

M. de Peranval.

Et, avez-vous des scènes bien tendres ensemble ?

Mad. de Vertaville.

Mais, oui.

M. de Lorville.

Oh ! de charmantes !

M. de Peranval.

Il en paroît content, il doit les bien jouer.

Mad. de Vertaville.

Ah ça, Madame, vous ne pouvez donc pas être des nôtres ?

Mad. de Peranval.

Non, Madame, & j’en suis bien fâchée.

M. de Blancour.

Je vous prie aussi de ne pas compter sur moi.

M. de Peranval.

Fort bien, Blancour.

Mad. de Vertaville.

Vous approuvez ; je vois que vous vous chargez du rôle, Monsieur de Peranval.

M. de Peranval.

Non, Madame ; je vous jure en honneur que je ne le peux pas.

Mad. de Vertaville.

Allons, je ne vous écoute plus. Madame, je m’en vais un peu fâchée contre vous ; cependant, j’espère toujours que vous passerez Jeudi la soirée chez moi.

Mad. de Peranval.

Je n’avois garde d’y manquer.

Mad. de Vertaville.

Tout de bon ? Vous ne l’aviez pas oublié ?

Mad. de Peranval.

Ah ! pour cela…

Mad. de Vertaville.

Où voulez-vous donc aller ?

Mad. de Peranval.

Je vous laisse. Monsieur de Peranval, Madame de Vertaville s’en va.

Mad. de Vertaville.

Non, Monsieur, je ne veux pas de votre main ; je vous boude, laissez-moi.

M. de Lorville.

Oui, reste ; je m’en vais avec Madame.


Scène VI.

Mme. DE PERANVAL, M. DE BLANCOUR, M. DE PERANVAL.
M. de Blancour.

Peranval, viens-tu à l’Opéra, aujourd’hui ?

M. de Peranval.

Sûrement. Y a-t’il quelque chose de nouveau ?

M. de Blancour.

Mais, oui ; une Danseuse, dont on dit le plus grand bien.

Mad. de Peranval.

Qui sort, sans doute, des petits Spectacles des Boulevards ?

M. de Blancour.

Non, non, Madame ; c’est mieux que cela ; elle arrive de Londres.

Mad. de Peranval.

Elle sera mise à faire horreur.

M. de Blancour.

Cela ne fait rien, ce n’est pas là l’essentiel.

Mad. de Peranval.

Pardonnez-moi, Monsieur, je trouve que toutes ces Demoiselles ne sont rien en comparaison de Mademoiselle Guimard. Voyez comme elle est toujours bien mise !

M. de Blancour.

Je conviens de cela ; mais pour ce qu’on appelle la danse haute…

Mad. de Peranval.

Moi, je n’aime que la danse agréable, celle qui exprime.

M. de Blancour.

C’est la pantomime, à la bonne-heure, vous avez raison ; mais pour la danse noble, héroïque, cela est bien différent.

Mad. de Peranval.

Eh bien, je conviens que je n’entends rien à ce que vous trouvez là d’admirable.

M. de Blancour.

Vous avez pourtant applaudi les entrées, aux Bals de Versailles.

Mad. de Peranval.

Je n’en ai vu qu’une fois ; mais cela est bien différent, c’étoient tous gens connus qui dansoient.

M. de Blancour.

Mais, dansoient-ils aussi bien qu’à l’Opéra ?

Mad. de Peranval.

Je ne compare pas, & puis les graces naturelles réussissent toujours.

M. de Peranval.

Oui ; Marcel, disoit d’une femme, elle a une petite disgrace noble.

Mad. de Peranval.

Il avoit raison, cela vaut mieux que des graces étudiées, comme celles de Madame de Blery, par exemple, qui veut toujours imiter Mademoiselle Contat, quand elle joue la Comédie.

M. de Blancour.

Cela n’est pas étonnant, elle se fait répéter tous ses rôles par elle.

Mad. de Peranval.

Elle dit pourtant que personne ne lui a jamais montré.

M. de Blancour.

Ceux qu’elle ne joue pas bien.

M. de Peranval.

Il a raison ; car je l’ai vue jouer, une fois, bien à contre-sens.

Mad. de Peranval.

Et, qu’est-ce qu’on donnera pour la capitation ?

M. de Blancour.

Mais, sûrement Iphigénie en Aulide.

M. de Peranval.

Pendant qu’ils ont tant de choses charmantes de Piccini.

M. de Blancour.

Il est vrai ; mais les Acteurs veulent cette Iphigénie, elle leur a toujours rapporté beaucoup.

Mad. de Peranval.

Ils ne se connoissent qu’en argent, sans doute ?

M. de Blancour.

Ce qu’il y a de certain, c’est qu’ils ne veulent qu’une bonne recette.

M. de Peranval.

Voici du monde ; allons-nous-en : Blancour ; passons par chez moi.

M. de Blancour.

Je le veux bien. Madame ; je vais parler un peu aux Acteurs.


Scène VII.

Mme. DE PERANVAL, Mme. DE LEZI, M. DE CLERA, LABRIE.
Labrie.

Madame de Lezi, Monsieur de Clera.

Mad. de Lezi.

On m’avait dit, Madame, que je ne serois pas assez heureuse pour vous trouver ; je vois, avec plaisir, que j’ai bien fait de le tenter.

Mad. de Peranval.

J’aurois été désespérée d’être sortie, Madame. Comment va votre santé à présent ?

Mad. de Lezi.

Mais, Madame, fort bien, sur-tout depuis que je nourris.

Mad. de Peranval.

Cela est-il vrai, Monsieur de Clera ?

M. de Clera.

Je vous réponds, Madame, qu’elle a du lait comme moi, & qu’elle va détruire entièrement sa santé.

Mad. de Peranval.

Il faudroit pourtant prendre garde à cela ; il y a des exemples effrayans de ce qu’il dit-là, Madame.

Mad. de Lezi.

Oui, si j’étois comme dit mon oncle ; mais vous savez qu’il y a des hommes qui n’aiment pas trop que les femmes nourrissent.

Mad. de Peranval.

Oui ; parce qu’elles ne sont plus à la société.

M. de Clera.

C’est-à-dire, qu’il faudroit qu’elles n’y fussent pas, & qu’elles eussent une excellente santé.

Mad. de Lezi.

Eh bien, moi, cela ne me fait rien du tout. Je fais ce que je veux, je vais au bal, au spectacle, je fais des visites, cela ne me dérange en rien. Il est vrai que j’ai deux Berceuses excellentes.

M. de Clera.

Tout cela ne vaut pas une bonne nourrice.

Mad. de Lezi.

Ah ! mon oncle, ne parlons plus de cela. Vous savez combien j’ai d’humeur quand on me tourmente, cela m’est mortel.

Mad. de Peranval.

Et votre santé à vous, Monsieur de Clera, comment va-t’elle à présent ?

M. de Clera.

Mais assez bien, Madame, sur-tout avec un peu précaution dans ce tems-ci ; & puis, je ne nourris pas, moi.

Mad. de Lezi.

Savez-vous, Madame, que nous avons pensé ne pas arriver ici.

Mad. de Peranval.

Il est vrai qu’il fait un tems affreux !

M. de Clera.

Ce n’est pas cela ; ce sont les bâtimens, on ne rencontre que des pierres par-tout.

Mad. de Lezi.

Et qui me font une peur horrible..

Mad. de Peranval.

Moi, je n’y pense pas trop.

M. de Clera.

Imaginez-vous donc, Madame, si un des essieux de ces grosses voitures cassoit auprès de la vôtre, ce que l’on deviendroit !

Mad. de Peranval.

Heureusement que cela n’arrive guères ; & puis, moi, je ne puis pas trouver absolument mauvais que l’on voiture des pierres.

M. de Clera.

Pourquoi donc ?

Mad. de Peranval.

C’est que je vais faire bâtir.

Mad. de Lezi.

Où cela donc, Madame ?

Mad. de Peranval.

Dans le fauxbourg Saint-Honoré.

Mad. de Lezi.

Cela est à portée de tout.

M. de Clera.

Et dans la plus charmante position !

Mad. de Peranval.

Oui, elle est belle.

M. de Clera.

Vous avez les Champs-Élisées, qui sont le matin d’une fraîcheur très agréable.

Mad. de Peranval.

On peut y aller aisément.

M. de Clera.

En robe-de-chambre : on iroit comme cela, en causant, jusqu’au bois de Boulogne.

Mad. de Peranval.

On ne va point se promener en robe-de-chambre.

M. de Clera.

Mais, pardonnez-moi, on le peut, quand on a une porte de son jardin qui donne sur les Champs-Élisées. A la place de M. de Peranval, moi, j’irois tous les matins.

Mad. de Peranval.

Mais, nous n’aurons point de porte sur les Champs-Élisées.

M. de Clera.

Tout le monde en a pourtant.

Mad. de Peranval.

Il faut pour cela que le Jardin y donne.

M. de Clera.

Eh bien, oui ; c’est ce que j’ai l’honneur de vous dire.

Mad. de Peranval.

Notre Maison ne sera pas de ce côté-là.

M. de Clera.

Ah ! cela fait une différence.

Mad. de Peranval.

Mais, je n’en aurai pas moins un Jardin.

M. de Clera.

Qui donnera sur la campagne ?

Mad. de Peranval.

Non ; mais qui sera environné d’autres Jardins.

M. de Clera.

Ah ! fort bien ! & vous aurez de la vue, sans doute ?

Mad. de Peranval.

Mais non, parce qu’il y a des Maisons au-delà des Jardins voisins.

M. de Clera.

Cela n’y fait rien, ce sera toujours une habitation charmante.

Mad. de Peranval.

Et très-commode.

M. de Clera.

C’est ce qu’il faut.

Mad. de Lezi.

Serez-vous bien logée, vous, Madame ?

Mad. de Peranval.

Mais oui ; c’est moi qui distribuerai ma maison, elle sera comme je la voudrai.

Mad. de Lezi.

On peut bien s’en rapporter à vous.

M. de Clera.

Madame, je vous prie de m’aider à empêcher ma nièce de faire une chose ridicule dans sa position.

Mad. de Peranval.

Qu’est-ce que c’est donc ?

M. de Clera.

Elle a plusieurs de ses amies qui veulent aller entendre un Prédicateur, qui a la plus grande célébrité, & s’exposer à être foulée, froissée…

Mad. de Peranval.

Est-ce que vous êtes devenue dévote ?

Mad. de Lezi.

Non ; mais ce Prédicateur est fort à la mode, il faut l’avoir entendu. Vous le connoissez, c’est un homme de beaucoup d’esprit, l’Abbé de… Son nom n’y fait rien ; tout le monde y sera.

M. de Clera.

Mais, tout le monde ne nourrit pas, il faut être raisonnable.

Mad. de Lezi.

Avant d’aller au Sermon, il y aura un déjeûner à l’angloise, délicieux : je ne veux pas y manquer.

Mad. de Peranval.

Eh bien, allez au déjeuner, & n’allez point au Sermon.

M. de Clera.

Mais, Madame, vous savez ce que sont ces déjeûners-là ; en conscience, devroit-elle en être ? Qu’elle attende encore, pour faire de pareilles folies.

Mad. de Lezi.

En vérité, mon oncle…

M. de Clera.

Allons, mon enfant, pour l’amour de moi, pour celui de votre fils, sacrifiez-nous ces deux choses-là.

Mad. de Lezi.

Je ne sacrifierai pas le déjeûner de la Foire, toujours.

Mad. de Peranval.

Et quel est ce déjeûner ?

Mad. de Lezi.

Un déjeûner-dîner, pour aller voir ensuite les animaux, les machines, enfin tout ce qu’il y a de curieux à la Foire ; & nous finirons par les petits Spectacles.

M. de Clera.

Et vous aurez chaud, froid ; vous vous enrhumerez, & vous serez obligée de garder votre chambre long-tems.

Mad. de Lezi.

Oh ! que non, avec des soins….

M. de Clera.

Oui, vous en êtes fort capable.

Mad. de Lezi.

Eh bien, venez avec nous, & vous verrez.

M. de Clera.

Je ne suis ni jeune, ni d’une assez bonne santé, pour hasarder de pareilles choses.

Mad. de Peranval.

Vous avez raison, Monsieur de Clera ; il faut prêcher d’exemple & se conserver.


Scène VIII.

Mme. DE PERANVAL, Mme. DE LEZI,
M. DE CLERA, LA MARQUISE, LABRIE.
Labrie.

Madame la marquise de Bellerive.

Mad. de Peranval.

Madame, je vous croyois à Versailles.

La Marquise.

Mesdames, voulez-vous bien… (Elles s’asseyent.) Je suis revenue Dimanche.

Mad. de Peranval.

On m’avoit dit, à votre porte, qu’on ne savoit pas quand vous reviendriez, sans quoi j’aurois été vous chercher.

La Marquise.

C’est qu’il y a eu des Fêtes qu’on m’a forcée de voir, des Spectacles…

Mad. de Peranval.

Tout cela a-t’il réussi ?

La Marquise.

Mais, oui ; il y a eu des choses qui n’étoient pas mal.

Mad. de Peranval.

Des choses nouvelles ?

La Marquise.

Oh ! non ; elles sont neuves, mais sans être nouvelles ; on ne varie guères, & l’on n’imagine point.

M. de Clera.

Vous avez dû trouver le tems bien mal-sain, depuis plusieurs jours, Madame la Marquise ?

La Marquise.

Dites depuis long-tems ; on m’a dit qu’il alloit changer, & ce soir, il fait le plus beau clair de lune du monde.

Mad. de Peranval.

Ah ! j’en suis bien aise ; car les gens de la Campagne disoient que, si le tems continuoit d’être le même, on ne pourroit pas faire les Mars.

Mad. de Lezi.

Qu’est-ce que c’est que faire les Mars, mon oncle ?

M. de Clera.

C’est semer les orges, les avoines.

Mad. de Lezi.

Pour les avoines, cela ne me fait rien ; c’est bon pour les chevaux.

M. de Clera.

Vous verrez qu’il ne faut pas les nourrir.

Mad. de Lezi.

Pardonnez-moi, je le veux bien ; mais ce n’est pas moi, je dis, qui paye tout cela.

La Marquise.

Il paroît, Madame, que c’est Monsieur votre oncle qui nourrit vos chevaux ?

Mad. de Lezi.

Oui, Madame ; il a cette bonté-là.

M. de Clera.

Et elle croit que quand ils sont chers à nourrir, il ne lui en coûte pas davantage.

Mad. de Peranval.

C’est que Madame ne pense, que tout ce qui vient à Paris, pour notre usage, nous est apporté par des voitures, qui sont tirées par des chevaux.

Mad. de Lezi.

Je vous demande pardon, Madame, je vois même tous les jours, en allant ou en revenant du Bois de Boulogne, des batteaux tirés par des chevaux.

M. de Clera.

Cela fait que les denrées sont plus chères, puisque la nourriture des chevaux est augmentée.

Mad. de Lezi.

Oh ! mais, je n’achète point de denrées, moi, mon oncle ; vous le savez bien.

M. de Clera.

Ce que je sais, c’est qu’il faut que je vous emmène ; il est tard, pour ce que nous avons à faire encore aujourd’hui.

Mad. de Lezi.

Madame, vous ne voudriez pas être de notre partie de la Foire ?

Mad. de Peranval.

Non, Madame ; je ne le puis pas, & j’espère que Monsieur de Clera vous en dégoûtera.

Mad. de Lezi.

Où voullez-vous donc aller, Madame ?

Mad. de Peranval.

Allons, je vous laisse. Monsieur de Clera, je vous recommande cette Dame-là.

M. de Clera.

Laissez, laissez-moi faire.


Scène IX.

LA MARQUISE, Mme. DE PERANVAL.
La Marquise.

Qu’est-ce que c’est que cette petite personne-là, Madame ?

Mad. de Peranval.

C’est Madame de Lezi ; un enfant gâté, comme vous voyez, qui a épousé un Capitaine de Vaisseau.

La Marquise.

Et l’oncle ?

Mad. de Peranval.

Monsieur de Clera ; c’est un Gentilhomme de Province, qui est devenu riche par un frère de sa mère, qui étoit dans le commerce. Il s’est établi à Paris, pour marier sa nièce, qui n’avoit rien du tout.

La Marquise.

Il paroît un bon homme, assez sensé.

Mad. de Peranval.

Il a eu le bon esprit, en s’établissant ici, de ne jamais vouloir se faire appeler Monsieur le Comte, ni Monsieur le Marquis : on lui en a parlé, il a répondu qu’il n’y en avoit jamais eu dans sa famille.

La Marquise.

Je le révère beaucoup, d’avoir une façon de penser si sage.

Mad. de Peranval.

Oui, car elle n’est pas commune ; tout le monde est de qualité, à présent.

La Marquise.

C’est qu’il n’y a rien de si aisé. Ce sont les Crieurs des portes des Spectacles qui vous qualifient ; d’abord on est étonné de les entendre, ensuite on en rit, & puis on finit par s’y accoutumer.

Mad. de Peranval.

Il y a beaucoup de gens qui n’ont pas d’autres titres de noblesse.

La Marquise.

Aussi, tel est homme de qualité dans le marais, qui n’est pas même Gentilhomme au fauxbourg Saint-Germain.

Mad. de Peranval.

Cela doit vous faire pitié, à vous, Madame la Marquise.

La Marquise.

Mais, non ; ces gens-là sont heureux de leurs prétendues qualités, sur-tout vis-à-vis de leurs égaux ; mais ce qu’il y a de plaisant, c’est de les voir quelquefois à la Cour, où ils ne sont souvent connus de personne.

Mad. de Peranval.

L’éclat emprunté n’y brille pas souvent.

La Marquise.

Nous nous sommes bien amusés, les dernières grandes fêtes qu’il y eut à Versailles, à lire toute une soirée, les noms avec les titres des gens de Paris, qui demandoient des billets.

Mad. de Peranval.

Mais, vous aurez le même plaisir, quand vous voudrez lire l’Almanach des Adresses.

La Marquise.

Je ne le connois pas.

Mad. de Peranval.

A propos de lire, Madame ; voudriez-vous entendre la lecture d’une Tragédie nouvelle ?

La Marquise.

Ah ! mondieu non, je vous prie ; je ne puis pas souffrir ces lectures-là ! On m’a proposé vingt fois de m’amener de ces Messieurs ; mais il faut tant de soins avec eux ! Une table, des verres d’eau, du sucre, & puis envoyer le lendemain savoir de leurs nouvelles ; tout cela est à périr d’ennui ! Quand les pièces ont réussi, on les voit assez long-tems, soit à la Cour, soit à Paris, quand on a des loges ; cela ne finit plus !

Mad. de Peranval.

Madame, gardez-vous la loge que vous avez à la Comédie Italienne ?

La Marquise.

Je le voudrois bien, parce qu’elle est auprès de la vôtre ; mais, si vous en changez, je quitterai la mienne.

Mad. de Peranval.

Cela est fort honnête ; c’est qu’il y en a une entière qui va être vacante à Pâques ; on me l’a offerte, elle est très-bonne, je la prendrois, ma sœur en prendra un quart…

La Marquise.

J’en prendrai bien un aussi.

Mad. de Peranval.

Et pour l’autre ?…

La Marquise.

Je me charge de le remplir.

Mad. de Peranval.

En ce cas, je vais la retenir. Nous pourrions, si cela vous convenoit, nous arranger pendant vos semaines.

La Marquise.

De tout mon cœur.

Mad. de Peranval.

Ce seroit pour mon autre sœur.

La Marquise.

La femme du Président à Mortier ?

Mad. de Peranval.

Elle-même.

La Marquise.

C’est une femme que j’aime beaucoup, qui a de l’esprit & qui a une fille charmante. Je les ai vues à bien des bals ce Carnaval.

Mad. de Peranval.

Elle a toutes sortes de talens, ma nièce.

La Marquise.

Et elle sera fort riche ?

Mad. de Peranval.

Sûrement, car elle est fille unique.

La Marquise.

Il me vient une idée, mais il faut que vous me parliez vrai, & que vous vous rappelliez pour cela notre ancienne amitié du Couvent.

Mad. de Peranval.

Je vous jure que je ne l’ai jamais oubliée.

La Marquise.

Et moi, j’ai toujours regretté de ce que je ne vous voyois pas autant que je le desirois.

Mad. de Peranval.

Il n’y a sûrement pas de notre faute.

La Marquise.

Oh ! pour cela non ; mais nous pourrions nous lier plus que jamais.

Mad. de Peranval.

Comment cela ?

La Marquise.

J’ai une fille, que je marierai de bonne-heure, c’est une affaire arrangée : je lui donnerai ma place à la Cour en la mariant, & par là je deviendrai entièrement libre ; alors je vous assure que je ne serai occupée que de réparer tout le tems que j’ai perdu en étant éloignée de vous.

Mad. de Peranval.

Je vous réponds, Madame, qu’il me seroit bien doux de pouvoir former un pareil espoir.

La Marquise.

Rappelez-vous seulement que j’étois autrefois votre chère Adélaïde, & dites-moi naturellement si vous approuvez le projet que je forme dans ce moment-ci.

Mad. de Peranval.

Voyons ?

La Marquise.

Vous connoissez mon frère ?

Mad. de Peranval.

Le Chevalier ?

La Marquise.

Non, le Comte ?

Mad. de Peranval.

Je ne l’ai jamais vu.

La Marquise.

Sa figure est fort bien ; il est très-bien fait, il a de l’esprit, il a un Régiment, il s’est distingué en Amérique & il est en passe d’aller au grand. Il est vrai que sa fortune n’est pas considérable à présent, mais il a les plus belles espérances du monde : dites-moi, à présent, s’il peut convenir au Président & à Madame votre sœur.

Mad. de Peranval.

Je ne sais pas quels sont leurs projets ; mais si vous me chargez de leur en parler, je m’y employerai avec le plus grand plaisir.

La Marquise.

Je ne vous en charge pas ; mais je vous en prie. Nous ne chicanerons point sur les conditions, quoique le père & la mère soient jeunes.

Mad. de Peranval.

La dot de ma nièce sera considérable.

La Marquise.

Savez-vous à peu près ?

Mad. de Peranval.

Mais, je crois environ cinq à six cens mille francs.

La Marquise.

Je vous dis, tout nous conviendra ; c’est l’alliance que nous cherchons, & je ne connois pas de gens plus honnêtes.

Mad. de Peranval.

Je vous réponds que vous aurez bientôt de mes nouvelles.

La Marquise.

J’y compte, puisque vous m’en assurez ; mon frère est mon meilleur ami ; en épousant votre nièce, son bonheur cimentera l’union que, vous & moi, nous allons former pour la vie. Voici du monde, qui vous vient, je vous laisse.

Mad. de Peranval.

C’est peut-être le Président.

La Marquise.

Cela seroit d’un bon augure. Je m’enfuis. Allons, laissez-moi donc.


Scène X.

Mme. DE PERANVAL, LABRIE, LE PRÉSIDENT.
Labrie.

Monsieur le Président de Norga.

Mad. de Peranval.

Ah ! Président, je suis charmée de vous voir !

Le Président.

Quelle est cette Dame, qui vient de me faire une si grande révérence ?

Mad. de Peranval.

C’est la marquise de Bellerive.

Le Président.

Est-ce qu’elle a un proces, qu’elle est si honnête ?

Mad. de Peranval.

Cela ne doit pas vous surprendre, elle fait le plus grand cas de vous.

Le Président.

Elle a bien de la bonté.

Mad. de Peranval.

J’ai à vous parler, à son sujet, de quelque chose qui nous intéresse fort toutes les deux.

Le Président.

Pour moi, je ne crois avoir aucun intérêt à démêler avec elle.

Mad. de Peranval.

Elle est fort mon amie.

Le Président.

A vous ?

Mad. de Peranval.

Oui, depuis mon enfance ; nous avons été ensemble au Couvent.

Le Président.

Je vous en fais mon compliment.

Mad. de Peranval.

Elle a un frère qui est un homme du plus grand mérite, quoique jeune.

Le Président.

Qu’est-ce qu’il est ?

Mad. de Peranval.

Colonel ; il s’est fort distingué en Amérique.

Le Président.

J’en suis fort aise.

Mad. de Peranval.

C’est le comte de Vermilly.

Le Président.

Je le connois.

Mad. de Peranval.

N’est-ce pas qu’il est bien fait, & qu’il a le plus grand air, celui d’un homme de grande qualité ?

Le Président.

Il paroît très-important, sa politesse est dédaigneuse, & son air est très-avantageux.

Mad. de Peranval.

Il a peut-être la vue basse.

Le Président.

Je connois ces vues-là, nous en sommes entourés ; ce sont d’autres manières.

Mad. de Peranval.

Vous vous prévenez souvent, injustement.

Le Président.

Mais, non ; je vois assez que le premier coup-d’œil trompe rarement ; que le jugement qu’on peut porter d’un homme, la première fois qu’on le voit, est assez vrai, que c’est en vain qu’on s’en défend. Après une liaison intime de plusieurs années, si on vient à rompre, on est forcé d’en revenir à cette décision du premier coup-d’œil, & l’on voit alors qu’elle est plus juste qu’on ne le pense ordinairement,

Mad. de Peranval.

Je ne saurois croire cela.

Le Président.

La Marquise, votre amie du Couvent, par exemple…

Mad. de Peranval.

Est capable de l’amitié la plus tendre & la plus vraie.

Le Président.

Eh bien, voilà ce que je ne crois pas. C’est une de ces femmes de la Cour qui nous regardent, nous autres Gens de Robe, comme de petits Bourgeois, qui ne sont pas dignes de les approcher ; mais comme je ne vivrai point avec cette Dame-là, je ne serai pas exposé aux impertinences dont je la crois capable.

Mad. de Peranval.

Vous traitez bien mal une femme que je vous ai dit qui étoit de mes amies.

Le Président.

Je crois qu’elle l’étoit ; mais combien vous êtes-vous vues de fois, depuis que vous êtes dans le monde toutes les deux ?

Mad. de Peranval.

Pas tant que nous l’aurions voulu.

Le Président.

Oui, vous, qui avez couru après elle sans jamais pouvoir la trouver.

Mad. de Peranval.

Elle m’a toujours rendu toutes mes visites.

Le Président.

Cela n’est qu’une forme de politesse, ou plutôt d’usage ; ce ne sont pas là des preuves d’amitié. Mais sachons donc quelle est cette grande affaire que nous pouvons avoir ensemble ?

Mad. de Peranval.

Quoi, vous ne la devinez pas ?

Le Président.

Nullement, je vous jure.

Mad. de Peranval.

Je n’ose plus vous en parler.

Le Président.

C’est que, sans doute, vous ne trouvez pas qu’elle en vaille la peine.

Mad. de Peranval.

Au contraire, c’est tout ce que je desire le plus ; & si cette affaire réussit, elle fera le bonheur de ma vie.

Le Président.

En ce cas, il faudra qu’il y ait de grands obstacles, pour que je m’y refuse.

Mad. de Peranval.

Je retrouve bien là votre amitié pour moi.

Le Président.

Expliquez-vous donc.

Mad. de Peranval.

Quoi, réellement ; vous n’avez pas entrevu que la Marquise desire votre fille, pour le Comte son frère ?

Le Président.

J’étais trop loin de le penser, pour en avoir seulement l’idée.

Mad. de Peranval.

Le Comte est fait pour aspirer à tout.

Le Président.

Il peut aspirer à tout ce qu’il voudra, mais il n’aura jamais ma fille.

Mad. de Peranval.

Ah ! mon cher frère !

Le Président.

Non, ma chère sœur, je ne veux point d’alliance avec ces gens-là.

Mad. de Peranval.

Mais ces gens-là peuvent devenir Ducs, Maréchaux de France.

Le Président.

Et celui que je leur préfère peut devenir Premier-Président, Chancelier de France, & il n’y en a pas plusieurs à la fois.

Mad. de Peranval.

C’est une chimère, que cette espérance.

Le Président.

Elle vaut mieux pour nous que les vôtres, & cette illustration lie à jamais une famille au lieu de la diviser.

Mad. de Peranval.

Vous destinez donc votre fille à un Président à mortier ?

Le Président.

Oui, Madame, & à un homme de mérite, qui, par son application, ses talens & sa droiture, peut aspirer aux plus grandes places de l’Etat.

Mad. de Peranval.

Et si la brigue & la cabale l’en éloignent toujours ?

Le Président.

Il aura le vœu public, il console de l’injustice.

Mad. de Peranval.

Enfin, mon frère, réfléchissez à ma proposition ; & si vous changez d’avis….

Le Président.

Je n’en changerai point.

Mad. de Peranval.

Que voulez-vous que je dise à la Marquise ? elle croira…

Le Président.

Tout ce qu’elle voudra ; & pour que vous ne m’en parliez plus, je m’en vais.


Scène XI.

Mme. DE PERANVAL, LE PRÉSIDENT, LE COMTE, LABRIE.
Labrie.

Monsieur le comte de Vermilly.

Mad. de Peranval.

Ne vous en allez pas, je vous prie.

Le Président.

Vous allez voir si tout ce que je vous en ai dit n’est pas vrai.

Le Comte.

Madame, je vous demande bien pardon de me présenter moi-même chez vous, comme cela, sans en avoir la permission, mais je comptois trouver ici ma sœur, sans quoi je n’aurois jamais osé y venir.

Mad. de Peranval.

Monsieur le Comte, un homme comme vous, n’a pas besoin qu’on le présente.

Le Comte.

Mais, Madame, je vous en prie… Monsieur le Président, voulez-vous bien…

Mad. de Peranval.

Allons, Messieurs, point de cérémonies. — Elle sort d’ici, Madame la Marquise de Bellerive.

Le Comte.

Elle se sera lassée de m’attendre, sans doute ; je n’ai pu arriver plutôt de Versailles. Nous avons eu une assemblée d’Officiers généraux, d’Inspecteurs & de Colonels, chez le Ministre, pour examiner les anciennes Ordonnances & en former de nouvelles.

Mad. de Peranval.

Vous aviez sans doute donné des projets ; n’est-ce pas comme cela que cela s’appelle ?

Le Comte.

Oui, Madame ; mais Monsieur le Président n’a pas besoin d’entendre tout cela.

Le Président.

Pourquoi donc, Monsieur ? tout ce qui intéresse l’Etat a toujours un rapport direct avec nous.

Le Comte.

Cela peut être, Monsieur, pour les Finances, les Impositions, les Édits, sur quoi vous faites des remontrances.

Le Président.

Quand nous les croyons nécessaires, pour le bien de la patrie.

Le Comte.

Oui, Monsieur, vous dites fort bien, vous la servez dans votre état, comme nous dans le nôtre. Nous défendons les foyers des Citoyens l’épée à la main ; vous leur conservez leurs biens avec celle de la Justice.

Le Président.

Nous faisons observer les Loix.

Le Comte.

Nous, nous suivons celles de la Guerre ; tout cela est égal.

Mad. de Peranval.

Président, Monsieur le Comte connoît bien le mérite de tous les états.

Le Comte.

Madame, je respecte infiniment d’honnêtes Citoyens, comme ces Messieurs, qui sont assez riches pour vivre tranquilles chez eux, & qui sacrifient leurs veilles & leurs santés à l’utilité publique ; ils sont toujours armés pour entretenir la paix intérieure du royaume, pour punir le crime & protéger la vertu. C’est fort beau, très-beau ! c’est le nec plus ultrà du mérite !

Le Président.

Il n’y en a point à faire son devoir,

Le Comte.

Sans difficulté ; mais…

Le Président.

Les louanges, en pareil cas, sont superflues.

Le Comte.

Il est vrai que ce ne sont pas des louanges qu’il vous faudroit, mais des graces ; je le disois encore l’autre jour à la chasse du Roi.

Le Président.

Monsieur, nous faisons le bien sans intérêt.

Le Comte.

Sûrement ; je le sais, vous êtes au-dessus de cela ; mais il me semble qu’on devroit au moins vous voir à la Cour, comme tous ceux qui servent l’État.

Le Président.

Ce n’est pas en faisant notre cour que nous le servirions.

Le Comte.

Pardonnez-moi, Monsieur, si vous y étiez suivant le rang que vous y devriez avoir, vous seriez à portée d’y répandre des lumières… Vous m’entendez bien, là…

Le Président.

Et l’ambition nous aveugleroit, comme tous ceux qu’elle y fixe.

Le Comte.

Oui, l’ambition, comme vous dites, peut détourner du devoir, mais avec les gens sages, elle auroit bien peu de prise.

Le Président.

Les gens sages, ne sont pas faits pour vivre avec les Courtisans.

Le Comte.

Oui ; mais les Courtisans sensés doivent les rechercher.

Le Président.

Moi, je crois les choses fort bien comme elles sont, & il faut toujours partir du point où l’on est.

Le Comte.

Vous avez raison ; mais je dis…

Le Président.

Ni vous ni moi, nous ne changerons rien à tout ce qui se passe ; ainsi, tout ce que nous dirions là-dessus est, pour le moins, inutile.

Le Comte.

Non pas ce que vous diriez, Monsieur le Président.

Le Président.

Je ne m’abuse point, Monsieur, & pour n’en pas dire d’avantage, je me retire.

Mad. de Peranval.

Mais, Président…

Le Président.

J’ai un rendez-vous d’affaires chez moi, bien plus essentiel.

Mad. de Peranval.

Vous vous en allez, absolument.

Le Président.

Oui, Madame, je ne puis rester un instant de plus.


Scène XII.

Mme. DE PERANVAL, LE COMTE.
Le Comte.

Il est sévère, Madame, le Président de Norga.

Mad. de Peranval.

Quelquefois ; il faut qu’il ait, comme il nous l’a dit, une affaire essentielle dans la tête.

Le Comte.

Ma foi, j’ai fait de mon mieux pour lui plaire ; je crains qu’il ne soit difficile d’y parvenir ; cependant, j’ai fait tous les efforts dont je suis capable ; je ne sais plus comment m’y prendre : ma sœur m’a dit qu’elle vous avoit laissée avec lui, & j’ai voulu qu’il pût me connoître, afin de le décider en ma faveur.

Mad. de Peranval.

Vous vous êtes conduit à merveille.

Le Comte.

Je suis charmé que vous soyez contente de moi.

Mad. de Peranval.

Il faut que je parle à la Présidente, elle a du pouvoir sur son mari, elle seule pourra nous faire réussir.

Le Comte.

Elle doit être fort bien, Madame votre sœur.

Mad. de Peranval.

Vous pourriez la voir ; elle va venir me prendre pour faire ensemble quelques visites, & aller souper dans la même maison.

Le Comte.

Je serai fort aise, si vous voulez bien me faire l’honneur de me présenter à elle.

Mad. de Peranval.

Je crois que la voici.


Scène XIII.

Mme. DE PERANVAL, LE COMTE, LA PRÉSIDENTE, LABRIE.
Labrie.

Madame la Présidente de Norga.

La Présidente.

Ma sœur, je vous ai fait attendre ; mais ce n’est pas ma faute.

Mad. de Peranval.

Ma sœur, voilà Monsieur le Comte de Vermilly.

La Présidente.

Monsieur est, je crois, frère de Madame la Marquise de Bellerive ?

Le Comte.

Oui, Madame ; & l’amitié qui lie Madame votre sœur & la mienne, sera pour moi, j’ose l’espérer, un titre auprès de vous.

La Présidente.

Monsieur, je n’ai pas l’honneur de connoître Madame votre sœur ; c’est une Dame de la Cour, & à qui il doit rester bien peu de tems pour voir des personnes comme nous.

Le Comte.

On en trouve toujours pour celles à qui on voudroit bien convenir.

La Présidente.

Et vous-même, Monsieur, vous ne devez pas trop en avoir.

Le Comte.

Il est vrai que les chasses du Roi, ses soupers, le travail avec les Ministres, m’occupent beaucoup ; mais dès que je le puis, je reviens à Paris ; c’est l’affaire des chevaux, & dans ma voiture j’expédie bien des choses ; j’y travaille presque autant que dans mon cabinet.

La Présidente.

C’est avoir une heureuse facilité !

Le Comte.

La nécessité en fait contracter l’habitude, & me laisse assez de tems pour voir à Paris mes connoissances & mes amis.

La Présidente.

Ils doivent fort se reprocher celui qu’ils vous dérobent.

Le Comte.

Au contraire, Madame, ils savent tous que je me livre à eux avec plaisir, & puis ils sont indulgens ; il ne leur manque qu’une chose, c’est de vous ressembler un peu plus, Madame la Présidente.

La Présidente.

A moi, Monsieur ?

Le Comte.

Oui, Madame.

Mad. de Peranval.

Il est très-aimable au moins, ma sœur, Monsieur le Comte.

La Présidente.

Cela peut être ; mais je ne puis guères être flattée de ce qu’il me loue autant, sans me connoître davantage.

Le Comte.

Madame, de beaux yeux, un ensemble de traits heureux & agréables, dévoilent toujours une ame sensible, délicate & noble.

Mad. de Peranval.

Je vous dis qu’il est charmant, le Comte ! mais c’est Madame sa sœur, dont vous serez enchantée, quand vous la connoîtrez.

La Présidente.

Je ne vois rien qui puisse me rapprocher d’elle.

Mad. de Peranval.

C’est que vous ne savez pas ce qui nous arrive.

La Présidente.

Quoi donc ?

Mad. de Peranval.

Nous allons avoir une loge, vous & moi, avec elle à la Comédie Italienne.

La Présidente.

Mais, ma sœur, j’en viens de louer une avec des femmes qui sont de mes amies & des vôtres depuis long-tems, & à qui je ne saurois manquer. Je vous ai même engagée avec nous.

Le Comte.

La Marquise va être désespérée de ce contre-tems.

Mad. de Peranval.

Dites-lui bien, je vous prie, qu’il n’y a pas de ma faute.

Le Comte.

Elle en sera bien persuadée.

Mad. de Peranval.

Dites-lui aussi que je ne puis lui rendre encore de réponse sur ce dont nous avons parlé aujourd’hui.

Le Comte.

Moi, je la crois déjà faite. Il me paroît fort difficile de plaire à votre famille, Madame.

Mad. de Peranval.

Vous avez vu tout ce que j’ai fait pour cela.

Le Comte.

J’en suis désespéré ! Mesdames, j’ai l’honneur de vous saluer. (Il sort, en chantant : Quand je vous reçus dans ma Cour, &c.)


Scène dernière.

LA PRÉSIDENTE, Mme. DE PERANVAL.
La Présidente.

Mais dites-moi donc, ma sœur, à propos de quoi cet homme-là vient-il me flagorner & me tenir tous les propos qu’il m’a tenus ?

Mad. de Peranval.

C’est le desir qu’il a de vous plaire, cela est tout simple.

La Présidente.

Vous savez bien que je n’ai jamais reçu chez moi de ces sortes d’importans.

Mad. de Peranval.

C’est un homme de qualité.

La Présidente.

Oui, qui croiroit beaucoup m’honorer avec ses respectueux dédains.

Mad. de Peranval.

Il n’est pas dédaigneux.

La Présidente.

Pas plus que sa sœur.

Mad. de Peranval.

Que dites-vous de sa sœur ! on ne peut pas être plus aimable qu’elle l’est !

La Présidente.

Je l’ai entendue à Versailles, dans la Gallerie, un jour qu’il y avoit une fête ; j’étois avec ma belle-sœur & sa mère, qui avoient été présentées huit jours auparavant. On lui demanda qui nous étions : ce sont des femmes de Paris, répondit-elle, en nous regardant dédaigneusement.

Mad. de Peranval.

C’est le ton de Versailles, voilà ce qu’on y dit de toutes les femmes de qualité qui n’ont pas de charges à la Cour.

La Présidente.

Et vous croyez que je chercherai à me lier avec cette femme-là ?

Mad. de Peranval.

Je me flattois qu’en raison de son amitié pour moi…

La Présidente.

Mais elle n’est point votre amie, & elle ne le sera jamais, croyez cela, & vous ne devez avoir aucun intérêt à vous lier avec elle : moi, je ne veux vivre qu’avec des gens qui s’honorent de mon amitié.

Mad. de Peranval.

Je ne saurois penser aussi mal de la Marquise.

La Présidente.

Je ne comprends pas les raisons que vous pouvez avoir de croire à la sienne.

Mad. de Peranval.

Je vous le dirai en chemin. Partons.

La Présidente.

Oui, car il est déjà tard ; je crois qu’il pleut à verse.

Mad. de Peranval.

Oui, vraiment ; on disoit que le tems étoit changé.

La Présidente.

Cela ne fait rien. Allons, allons nous-en.

Mad. de Peranval.

J’en suis seulement fâchée, pour nos Gens.