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Correspondance (d’Alembert)/Correspondance avec Voltaire/094

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Œuvres complètes de D’AlembertBelinTome V (p. 180-181).


Paris, 12 novembre 1768.


Jai reçu, mon cher maître, il y a déjà quelques jours, le Siècle de Louis XIV, augmenté du Siècle de Louis XV, et les Trois Empereurs, de M. l’abbé Caille. Je vous prie de recevoir tous mes remerciements du premier, et de faire à M. l’abbé Caille tous mes remerciements du second. Ce jeune abbé me paraît en effet, comme à vous, promettre beaucoup par cet échantillon qui, pourtant, a bien l’air de n’en être pas un ; car je gagerais bien que ce n’est pas là un coup d’essai, et qu’il a déjà fait d’excellents vers. Je ne manquerai pas de faire ses compliments à Ribalier ou Ribaudier, qui, par parenthèse, vient de donner à une brochure sur l’inoculation une approbation qu’on dirait presque d’un philosophe.

Quid domini facient, audent cum talia fures ?

À l’égard du Siècle de Louis XIV, il me paraît augmenté de plusieurs morceaux bien intéressants ; et je ne m’étonne pas de ce que le roi de Danemarck a eu le courage de dire à Fontainebleau, que l’auteur lui avait appris à penser. On écrase ici ce jeune prince de fêtes et de plaisirs qui l’ennuient. Il voudrait, à ce qu’on assure, voir les gens de lettres à son aise, et converser avec eux ; mais le conseil supérieur a décidé, dit-on, qu’il fallait qu’il ne les vît pas. De toutes les académies, il n’a encore vu que celle de peinture. On lui est, je crois, bien obligé de venir faire diversion à l’affaire de Corse, où vous savez nos succès, qui viennent d’être couronnés par de nouveaux. Si Paoli venait ici, je ne connais de rois que le roi de Prusse qui attirât autant de curiosité.

Notre pauvre Damilaville est toujours dans un bien misérable état, souffrant de tous ses membres, sans appétit, ne pouvant se remuer et digérer sans douleur le peu qu’il mange pour se soutenir. Il me paraît à bout de patience, et je suis pénétré de sa triste situation. Je ne manquerai pas de donner à l’abbé de Condillac l’anecdote que vous m’envoyez sur l’abbé d’Olivet, dont les mânes vous doivent bien de la reconnaissance de l’avoir placé dans votre ouvrage. C’était un passable académicien, mais un bien mauvais confrère, qui haïssait tout le monde, et qui, entre nous, ne vous aimait pas plus qu’un autre. Je sais qu’il envoyait à Fréron toutes les brochures contre vous qui lui tombaient entre les mains, mais

Seigneur, Laïus est mort, laissons en paix sa cendre.

Adieu, mon cher et illustre confrère, portez-vous bien, et continuez à vous moquer de toutes nos sottises.