Correspondance (d’Alembert)/Correspondance particulière/05

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Œuvres complètes de D’AlembertBelinTome V (p. 14-15).


AU MARQUIS D’ARGENSON.


Monsieur, les savants et les écrivains célèbres qui vous approchent en si grand nombre applaudiront à l’hommage que je vous rends. Le respect qu’ils vous témoignent est d’autant plus sincère, que l’attachement en est le principe, et d’autant plus juste, que vous ne pensez pas à l’exiger. Vous devez, monsieur, un sentiment si flatteur et si vrai, à cette familiarité sans orgueil avec laquelle vous accueillez les talents, et qui seule peut rendre la société des grands et des gens de lettres également digne des uns et des autres. Votre commerce, utile et agréable par une étendue de connaissances qui vous assurent le suffrage de la partie la plus éclairée de notre nation, est encore, pour tous ceux qui vous environnent, une leçon continuelle de modestie, de candeur, d’amour du bien public, et de toutes les vertus que notre siècle se contente d’estimer. Philosophe enfin dans vos sentiments et dans votre conduite, vous joignez à cette qualité trop rare et qui en renferme tant d’autres, le mérite plus rare encore de l’avoir sans ostentation. Puisse votre exemple, monsieur, et celui de votre illustre maison, apprendre à la plupart de nos Mécènes, trop multipliés aujourd’hui pour la gloire et le bien des lettres, que le vrai moyen d’honorer le mérite en le protégeant, est de s’honorer soi-même par la manière dont on le distingue !

Je suis avec respect, etc.


AU MÊME.


Monsieur, je vous dois sans doute des excuses d’oser vous dédier cet ouvrage sans vous en avoir demandé la permission ; mais, ou votre modestie n’aurait pas accepté mon hommage, et je voulais me satisfaire, ou elle m’aurait interdit tout éloge, et je voulais dire à mon aise la vérité. Je vous prie d’être bien persuadé que de tout ce que j’ai écrit, ou que j’écrirai jamais, rien ne me sera plus cher et plus précieux que les trois premières pages de ce livre. Oserais-je me flatter que vous voudrez bien les recevoir comme le présent d’un philosophe, et comme le seul témoignage, mais le plus authentique que je puisse vous donner, du respect et de l’attachement avec lequel je serai toute ma vie, etc.