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Correspondance - Lettre du 05 mars 1917 (Asselin)

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Lundi, 5/3/17


Ma bien chère femme,

Je pars demain pour la France. Ce devait être jeudi, mais la dépêche reçue ce soir avance le départ de deux jours. Il n’est pas encore définitivement réglé que je resterai au 22e. N’était le grade, l’affaire xxxxxxx s’arrangerait probablement tout de suite, mais un major est par le temps qui court un meuble difficile à placer : ⁁partout il y en a déjà trop. Il est vrai que dans mon cas il s’agirait d’un attachement (je ne sais j’ignore le mot français) et non d’une incorporation, mais le colonel Tremblay aura quand même demandé de me voir avant de donner sa réponse. Sans être le maître, il a naturellement beaucoup à dire. Je xxxxxxx serai bien désappointé si, en faisant travaillant de mon mieux, je ne réussis pas à rester au front. Une fois là, je ferai en sorte que la femme qui m’a tout sacrifié — y compris son bonheur — n’ait pas à rougir de moi.

Une seule chose m’attriste, à part la pensée que je ne vous reverrai peut-être plus : c’est la gêne matérielle où le mauvais sort veut que je vous laisse. Depuis mon arrivée en Angleterre, j’ai touché les soldes de xxxxxxx décembre, janvier et février, soit, déduction faite de xxxxxxx votre part, quelque chose comme deux cents vingt-cinq piastres. Le renouvellement de mon uniforme et xxxxxxx mon accoutrement m’ont coûté plus de cent cinquante piastres. Le mess m’a pris en moyenne trente piastres par mois. À part cela j’ai dû rembourser à Blois trente piastres empruntées au départ, souscrire au mariage de deux ou trois camarades — y compris le colonel, — dépenser ⁁pour un autre, le pour le blanchissage et un cigare par-ci par-là de cinq à dix piastres par mois. Sur les cent cinquante piastres que m’a prêtées Georges Garneau, il me reste exactement $90, en comptant vingt-cinq piastres que je réclame au trésorier de l’armée pour xxxxxxx les frais de mon premier voyage à Londres, fait par ordre de James à l’occasion de l’ouverture du Parlement, et qui me seront remboursées Dieu sait quand. Je compterai aussi à l’État les frais de mon voyage en France, mais en attendant je dois les débourser, et cela ne peut être moins qu’une cinquantaine de piastres.

Il y a quelque temps le colonel convenait de m’avancer sur les vieux fonds du Comité Civil ⁁cent ou deux cents piastres, à rembourser quand je pourrais. Je lui ai rappelé xxxxxxx la chose il y a quinze jours, avant de partir pour l’école de Crowborough, et il m’a répondu que, pour sa protection, il aimerait à avoir une autorisation de Perrault, secrétaire du Comité. Là-dessus j’ai télégraphié moi-même à Perrault. C’était le 17 février. À mon retour, samedi xxxxxxx 3 mars, pas encore de réponse. Samedi soir je câblais de nouveau, en ces termes :

“Leaving. Authorization requested from you as secretary Civilian Committee would relieve great worry.”

Serai-je plus heureux cette fois ? Dans ma lettre xxxxxxx partie aujourd’hui même, j’explique à Perrault qu’il reste encore, sur les fonds du Comité, plus de $1500 ; que, cet argent n’appartenant plus à personne en particulier, il n’y a pas de mal à s’en servir pour aider temporairement l’organisation du bataillon. Je crois qu’il comprendra cela. En attendant — et malgré la gêne que je me suis moi-même imposé depuis trois mois (sans en souffrir, je te l’affirme, et bien au contraire) — je me vois dans l’obligation de partir sans avoir pu t’envoyer ce que je t’avais promis. Je verrai demain matin DesRosiers et DeSerres, et ferai avec eux des arrangements pour qu’ils t’envoient directement xxxxxxx un reçu de télégra la réponse de Perrault, qui ne saurait tarder. La Providence, qui me punit, aura pitié de vous. de vous.

Et maintenant, chère enfant, il me reste une chose à te dire, qui est que plus j’approche du danger — du danger volontairement cherché — plus ta sublime figure emplit mon esprit âme. Je n’ai pas été pour toi le mari que tu méritais. Je t’ai fait souffrir, j’ai brisé ta vie. Sera-ce au moins une consolation pour toi d’apprendre que, à mesure que je me suis dégagé des xxxxxxx passions terrestres pour entrer à mon tour dans la voie du sacrifice, je t’ai tendrement et profondément aimée ?

Et nos chers petits hommes, comme je souffre ce soir de ne pouvoir les presser dans mes bras ! Laisse faire Jean : il n’est pas de ceux qu’il faut contrarier dans leurs goûts. Surveille Paul, prends-le par l’ambition et développe chez lui le goût de l’action, de l’effort. Observe Pierre ; je crois qu’il aura l’imagination plus vive, etmais aussi le caractère plus insouciant que les deux autres. Ils sont bons pour toi, et je sens qu’ils ⁁le resteront. Tous pour toi. Je leur écris à chacun un mot. Je voudrais leur apprendre à te vénérer. Embrasse-les bien fort pour moi. Plus tard, tu leur diras, si tu le veux, ce que j’étais, afin que leur affection xxxxxxx se porte sur toi sans partage.

Au revoir en ce monde ou en l’autre, ma femme bien-aimée.

Ton homme,
Olivar.


P.S. Embrasse ta mère et tes enfants pour moi. Quant à ma mère à moi, je lui écris.

Ol.


Écris-moi à l’adresse suivante :

163e Battalion, C.E.7.,
Army Post Office, London, England

P.S. Grande joie. J’avais écrit hier soir. Ce matin, au moment de fermer ma lettre, j’apprends par DeSerres que Perrault a câblé l’autorisation de me prêter cinquante livres. Tout va s’arranger. Ol.