Correspondance - Lettre du 10 avril 1917 (Asselin)

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Au front, 10/4/17

Mon cher DeSerres,

Vous avez probablement appris dès hier la prise des hauteurs de Vimy, près de Neuville-Saint-Vaast. Les Français avaient perdu là cent mille hommes : jusqu’à plusieurs kilomètres alentour, le sol était jonché de cadavres, bien qu’on en eût enterré des milliers, sans les croix. Après un tir d’artillerie d’une dizaine de jours, tel que tous les gens du 22e disent qu’on n’en vit pas à la Somme, et probablement tel qu’il ne s’en vit jamais dans l’histoire, les Canadiens xxxxxxx et quelques bataillons anglais ont emporté la position en moins de six heures, et depuis lors, paraît-il, l’avance continue. Je dis « paraît-il », car je n’ai pas eu le bonheur de prendre part à l’action. Je suis parmi les officiers qu’on réserve pour les coups qui vont suivre. Avec le colonel Tremblay, le major Chaballe et une dizaine d’autres, xxxxxxx je suis revenu à l’arrière à la dernière heure, après quatre jours passées en support dans les ruines de Neuville-Saint-Vaast, en contrebas de la ligne allemande, sous le feu des 5.9. Une heure auparavant, j’avais conduit une corvée de 20 hommes entre la ligne d’observation et la ligne de feu, par des tranchées bombardées de ces intéressants légumes. J’ai constaté avec plaisir que j’étais apparemment le plus froid de la bande. Au retour, xxxxxxx un obus est tombé au milieu des hommes pendant qu’ils déposaient dans un chantier une charge d’outils ; comme par miracle, personne n’a été blessé. Mais cinq minutes plus tard, en rentrant au dug-out, j’ai trouvé xxxxxxx le toit en partie démoli et l’escalier rempli de xxxxxxx décombres et de sang ; la sentinelle et un autre homme xxxxxxx venaient d’être blessés. La veille, j’avais piloté une corvée de 50 hommes à travers un feu pareil. Ce sont de ces « expériences » qui raffermissent les nerfs. Tout de même, j’aurai manqué une fameuse occasion de ne pas me faire tuer glorieusement, car il semble que le 22e s’en soit tiré avec des pertes relativement minimes xxxxxxx. À part de suivre le barrage de notre artillerie avec une régularité mathématique, — xxxxxxx de quoi nous nous étions appliqués à leur faire comprendre la nécessité, — les hommes ont oublié les savantes répétitions qu’on leur avait fait faire par brigades en arrière, sur xxxxxxx un bon terrain marqué au galon d’après les photographies aériennes ; xxxxxxx ils sont arrivés à leurs différents objectifs pêle-mêle dans un pêle-mêle qui dure encore, et d’autant plus explicable que, des tranchées, du fil de fer, des dug-outs, après xxxxxxx notre bombardement, n’y en avait plus. (Il ne restait que de pauvres xxxxxxx diables effarés, Bavarois et Prussiens, jetant les mains en l’air en criant Camarade.) Ce glorieux désordre vous explique que, sous les tentes où nous sommes depuis la nuit d’hier (par un temps d’hiver, soit dit en passant, ) à preuve qu’il a neigé encore ce matin), ils les nouvelles nous arrivent lentement. xxxxxxx En mettant ensemble toutes les versions, il se trouve que xxxxxxx nous avons eu une dizaine d’officiers et quelque deux cents xxxxxxx hommes légèrement blessés xxxxxxx (la plupart légèrement), sur seize officiers et un peu plus que six cents hommes. Presque pas de morts. xxxxxxx Le 25e, le 24e, le 26e, le 10e, n’auraient pas été aussi heureux. Le programme assignait au 22e le nettoyage ou mopping sur le front de la 5e brigade, mais une fois partis, va-t-en voir ! xxxxxxx tout le monde a suivi le barrage et xxxxxxx le nettoyage s’est fait tout seul. Il y a, du côté allemand, des milliers de morts, xxxxxxx la plupart, aux dires de nos gens, foudroyés dans les dug-outs avant d’avoir pu sortir, ou écrabouillés avant l’attaque par le feu infernal de notre et artillerie.

Il était temps que de marcher, car, après xxxxxxx quatre jours d’attente sous le feu allemand, les hommes s’énervaient, refusaient même de quitter les dug-outs. Quand les Allemands ne tiraient pas (je parle toujours de l’artillerie), le 22e sortait de toutes parts pour les voir sauter, hommes, dug-outs, canons et le reste, xxxxxxx sur la crête d’en face ; car, je vous le répète, le spectacle en valait la peine. xxxxxxx Quand les Allemands et nous tirions xxxxxxx ensemble, nos hommes restaient encore le nez au vent, car la curiosité était plus forte que la peur. Mais quand les Allemands tiraient tous seuls, ce n’était plus la même histoire. Heureusement, – c’est du moins ce qu’on m’a dit et ce que j’ai cru constaté xxxxxxx en faisant, moi aussi, le badaud et au cours des petites excursions susdites, – les gros obus, quand ils ne nous tombent pas sur la tête, qu’ils n’éclatent pas ni trop près ni trop loin de vous, et enfin, qu’ils n’éclatent pas du tout, ne sont pas les plus dangereux. J’oubliais xxxxxxx que nous avons fait des milliers de prisonniers. Vimy, c’était, au nord-ouest, le point d’appui de la ligne Hindenburg. Il a sauté en maudit, le point !

Pendant que je vous écris, trois officiers de la réserve, Dupuis, Leprohon, Duhaime, – puis un autre, Fauteux, – ont reçu l’ordre de xxxxxxx partir pour la ligne de feu. Mon tour ne saurait tarder.

Pour l’information de ceux du 10ede réserve qui les connaissent, les officiers du 22e rapportés blessés sont le major Archambault (un homme de dix-neuf mois de tranchées), les lieutenants Nantel, Lindsay, Des Troismaisons, Morin, de Saint-Victor, Bourque (celui-ci enterré en montant aux tranchées avec nous, quelques jours auparavant) et un couple d’autres dont je ne me rappelle plus les noms.

La merveille de cette opération, mon cher DeSerres, – c’est la xxxxxxx concentration de centaines et de centaines de canons anglais au nez des Allemands, sur le terrain le plus désavantageux possible. Dites-le bien aux camarades, en justice pour l’armée anglaise et aussi pour les encourager. Mais ce qu’on vante dans l’artillerie, c’est ⁁surtout, avec l’habileté des officiers, xxxxxxx l’excellence du matériel. Dans l’infanterie, c’est l’héroïsme ⁁des troupes. Je comprends maintenant mieux que jamais ⁁que, du côté des Alliés, les grands héros de cette guerre de héros, ce furent les combattants de la première heure – je veux dire de la première année, – et que parmi les plus grands il n’y en eut pas de plus grands que ceux qui tinrent la ligne d’Ypres sous les obus et la mitraille allemandes, dans la boue, sans tranchées ni abris.

Une effroyable tempête de neige, comme les pires de février au Canada, sévit depuis dix minutes, avec un vent à soulever les tentes. Je me demande ce que font nos gars dans les abris (!) que leur ont légués les Allemands.

Je ne sais si les Allemands auront le culot de présenter xxxxxxx l’affaire de Vimy comme un chapitre de leur « retraite stratégique ». Il faudra interviewer là-dessus les Boches dont nos parcs à prisonniers regorgent.

Je me demande si, au cours de ma brève relation – visiblement incomplète et qui vous arrivera probablement comme de la moutarde après le dîner ; ⁁ je n’ai pas de quelque façon enfreint les ordres de la Censure. xxxxxxx Si cela était, mettons que je n’ai rien dit.

Il me vient à la dernière minute que j’ai oublié de vous parler des tanks. Elles étaient là dans toute leur gloire, xxxxxxx six par brigade. Une seule a fait panne ; toutes les autres xxxxxxx ont marché au but avec l’agilité – très grande, vous le savez – des rhinocéros hippopotames, xxxxxxx chacune laissant derrière elle, dans la boue et les xxxxxxx vestiges des barbelés, un beau trottoir trottoir. L’aviation ⁁a bien marché malgré le nombre de machines que nous avions perdues sur ce secteur les jours précédents.

Le nombre des choses que j’oublie est colossal ; par exemple, le colonel Léonard, du 10e, gravement blessé, et le major De Lancey, commandant xxxxxxx du 25e par intérim, tué.

Mes amitiés au colo, à qui vous direz que si je ne lui écris pas, c’est parce qu’il n’a pas le temps de me lire, encore bien moins de me répondre. Mes amitiés cordiales à lui et respectueuses à sa dame, comme dit la Presse.

À propos de la Presse, apprenez une bonne histoire. Dernièrement, un nommé Duchatelet, du 22e, – venu ⁁du 69e, naturellement, xxxxxxx xxxxxxx était tué xxxxxxx en cherchant xxxxxxx à s’évader d’un corps de garde où il attendait son procès pour désertion. Voyez, dans la xxxxxxx coupure de journal ci-incluse, La Patrie, quel héros on en a fait à La Patrie. Et pendant que les vaisseaux manquent pour les exportations du Canada en Angleterre, on nous envoie des cargaisons de Presses et de Patries.

Le canon tonne sans interruption depuis hier. On dit que xxxxxxx toute notre artillerie, à l’exception des plus grosses pièces, s’est portée en avant presque aussi vite que l’infanterie, et que les contre-attaques ne sont pas à craindre. xxxxxxx Les cochons d’enfants de chienne, nous les aurons !

Je vous resalue et retermine. Écrivez-moi.

Asselin, major.

P.S. – Si vous jugez cette lettre de nature à intéresser ma femme, envoyez-la lui au 1261 de la rue St. Hubert. Je crains de n’avoir pas le temps de lui écrire avant la rentrée, et, xxxxxxx même s’il en est autrement, elle aimera xxxxxxx sans doute à connaître les faits que je vous marque.

Il pleut et neige constamment depuis mon arrivée.