Correspondance 1812-1876, 4/1858/CDXLI

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CDXLI

À M. ÉDOUARD CHARTON, À PARIS


Nohant, 20 novembre 1858.


Cher excellent cœur ami, je vois que vous prenez du souci de ce qui me touche : merci mille fois ! — Je ne connais pas le pamphlet Breuillard[1]. Maurice et mes amis ont dit qu’il fallait poursuivre et j’ai été de leur avis, en leur entendant dire qu’il y avait là injure personnelle et calomnie à la vie privée.

Mais je ne voulais que la réparation nécessaire à tout individu attaqué, dont le silence pourrait être regardé comme un aveu des turpitudes qu’on lui prête. D’autres amis ont cru qu’il fallait faire plus de bruit, appeler à mon aide un grand avocat, avoir dans les journaux la reproduction de son plaidoyer, etc. Je m’y suis refusée d’abord parce que, dans l’espèce, la reproduction est interdite, m’a-t-on dit, et que le retentissement n’aurait pas eu lieu ; ensuite parce que c’était plus de bruit qu’il ne fallait, même en restreignant ce bruit à la localité. J’ai prié mes amis de se consulter entre eux. Ils l’ont fait, ils m’ont donné raison, on m’a désigné l’avoué et l’avocat. Ceux-ci ont accepté le mandat offert ; maintenant, si j’ai eu tort, il n’est plus temps d’y revenir.

Que vous dire de moi, maintenant, à propos de théâtre ? je ne sais pas. C’est un jour oui, et un jour non. Ai-je du talent pour cela ? je ne crois pas ; j’ai cru qu’il m’en viendrait, je me dis encore quelquefois, sous mes cheveux gris, qu’il peut m’en venir. Mais on a tant dit le contraire, que je n’en sais plus rien, et que j’en aurais peut-être en pure perte. Si les auteurs sont rares et mauvais comme vous le dites, c’est peut-être bien la faute du public, qui veut de mauvaises choses, ou qui ne sait pas ce qu’il veut. Montigny m’écrivait dernièrement : « Que faut-il faire pour le contenter ? si on lui donne des choses littéraires, il dit que c’est ennuyeux ; si on lui donne des choses qui ne sont qu’amusantes, il dit que ce n’est pas littéraire. » Le fait m’a paru constant dans ces dernières années. On se plaignait de voir toujours la même pièce ; mais toute idée nouvelle était repoussée. Que faire ? N’y pas songer et écrire quand le cœur vous le dit. C’est ce que je ferai quand même.

Mon pauvre Maurice vient d’être très souffrant, moi par contre-coup. Nous revoilà sur pied, lui au physique, moi au moral.

Je lis la Correspondance de Lamennais. Qu’est-ce que vous en dites, de ce premier volume ? Moi, j’ai besoin de faire un effort pour voir l’homme de bien et de cœur à travers cet ultramontain passionné. Et pourtant c’est bien le même homme placé à un autre point de vue que celui où nous l’avons connu.

Bonsoir, cher ami ; à vous de cœur toujours.

G. S.

  1. Ce Breuillard était un inconnu de province qui avait publié contre George Sand un écrit diffamatoire.