Correspondance 1812-1876, 4/1860/CDLXII

La bibliothèque libre.



CDLXII

À SON ALTESSE LE PRINCE NAPOLÉON (JÉRÔME),
À PARIS


Nohant, 9 décembre 1860.


Chère Altesse impériale,

Voici l’exemplaire de l’ouvrage de mon fils que vous avez bien voulu vous charger de faire agréer al re galantuomo. Si Maurice ne vous le porte pas lui-même, c’est qu’il me soigne encore un peu. Je vous envoie aussi la lettre qu’il a écrite à ce héros, dont il est justement épris. — Le maudit héros ! il m’a pourtant forcée, moi, d’abjurer l’idée républicaine italique ! Devant tant de patriotisme, de bravoure, de loyauté et de simplicité (caractère de la vraie grandeur), les théories ont tort, le cœur est pris ; et c’est le cœur qui gouverne le monde on a beau dire que les hommes ne valent rien, c’est le sentiment qui fait les vrais miracles de l’histoire.

Mon fils avait écrit cette lettre et me l’avait remise il y a déjà longtemps ; mais le relieur a tardé à finir la reliure, et, alors, vous avez été frappé d’un malheur que j’ai vivement ressenti pour vous et avec vous. Je n’ai pas voulu vous importuner de cet envoi. Et puis est venue ma maladie et l’imbécillité de la convalescence. D’ailleurs, Victor-Emmanuel avait bien d’autres chats à fouetter, que d’ouvrir un livre d’art pur et simple. Mais ce livre est un hommage rendu au génie italien, et, parmi les plus humbles droits, il a celui d’être mis aux pieds du libérateur de l’Italie. Un mot de vous expliquera et excusera cette hardiesse. Je n’ai pas changé la date de la lettre de Maurice, date qui témoigne d’un empressement non secondé jusqu’ici par les circonstances.

Quoique guérie, je n’ai pas la permission du médecin pour aller à Paris, où je ne manque jamais de prendre la grippe, et je dois passer février et mars dans le Midi ; je rêve les cistes et les bruyères en fleurs du Piémont ou des frontières françaises ; car ma passion du moment, c’est la botanique. Si vous allez par là, courir après cette solitude qui fuit les princes, vous êtes bien sûr de me rencontrer dans le coin le plus champêtre et le plus retiré, vous aimant toujours d’un cœur sincère et dévoué tendrement.

GEORGE SAND.