Correspondance 1812-1876, 6/1870/DCCLXIV

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Texte établi par Calmann-Lévy,  (Correspondance Tome 6 : 1870-1876p. 37-38).


DCCLXIV

À GUSTAVE FLAUBERT, À CROISSET


La Châtre, 11 octobre 1870.


Nous sommes vivants à la Châtre. Nohant est ravagé par une variole compliquée, affreuse. Nous avons dû emmener nos petites dans la Creuse, chez des amis qui sont venus nous chercher, et nous y avons passé trois semaines, cherchant en vain un gîte possible pour une famille durant un trimestre. On nous a appelés dans le Midi et offert l’hospitalité ; mais nous n’avons pas voulu quitter le pays, où, d’un jour à l’autre, on peut se rendre utile, bien qu’on ne sache guère encore par quel bout s’y prendre.

Nous sommes donc revenus chez les plus proches de notre foyer abandonné, et nous attendons les événements. Dire tout ce qu’il y a de périlleux et de troublé dans l’établissement de la République au fond de nos provinces serait bien inutile. Il n’y a pas d’illusions à se faire : on joue le tout pour le tout, et la fin sera peut-être l’orléanisme. Mais nous sommes tellement poussés dans l’imprévu, qu’il me semble puéril d’avoir des prévisions ; l’affaire est d’échapper au plus prochain désastre.

Ne disons pas que c’est impossible, ne le croyons pas. Ne désespérons pas de la France. Elle subit une expiation de sa démence, elle renaîtra, quoi qu’il arrive. Nous serons peut-être emportés, nous autres. Mourir d’une fluxion de poitrine ou d’une balle, c’est toujours mourir. Mourons sans maudire notre race !

Nous t’aimons toujours, et tous nous t’embrassons.