Correspondance 1812-1876, 1/1831/LXXI

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LXXI

À M. JULES BOUCOIRAN, À NOHANT


Paris, 17 juillet 1831.


Mon cher enfant,

J’en suis fâchée pour votre optimisme politique, mais votre gredin de gouvernement indispose cruellement les honnêtes gens. Si j’étais homme, je ne sais à quels excès je me porterais, dans de certains moments d’indignation, que toute âme bien née doit ressentir à la vue des platitudes et des atrocités qui se commettent ici tous les jours.

C’est réellement une guerre civile que les ministres allument et alimentent à leur profit. Infamie ! Les couleurs nationales sont proscrites. Il suffit de les porter pour être dépecé avec un odieux sang-froid, par des gens armés, lâches, qui ne rougissent point d’égorger des enfants sans défense et en petit nombre.

Cette belle institution de la garde nationale est devenue un levain de discorde et de sang. La police a recours à des moyens dignes des plus beaux temps de Carrier (de Nantes). Il semble que Philippe veuille trancher du Napoléon. Or c’est un rôle qu’un Bourbon ne saura jamais remplir. Ses efforts retarderont sa chute ; mais elle n’en sera que plus tragique, et vraiment alors le peuple commettra tous les excès sans être coupable.

Moi, je hais tous les hommes, rois et peuples. Il y a des instants où j’aurais du bonheur à leur nuire. Je n’ai de repos qu’alors que je les oublie !

Vous êtes bon, vous ! C’est différent. Les amis, oh ! les amis ! que c’est un trésor rare et difficile à garder ! Si l’on ne tient pas sa main toujours étroitement fermée, ils s’échappent comme de l’eau au travers des doigts.

J’ai le cœur cruellement froissé ; mais je sais qu’il y aurait de l’ingratitude à pleurer longtemps ceux qui désertent. Plus le nombre se réduit, plus je sens l’affection redoubler de vigueur. La part des uns revient aux autres.

Je vous remercie de m’avoir parlé de Maurice. Faites qu’il m’écrive souvent, qu’il ne soit pas trop livré à lui-même aux heures où il ne travaille pas, et qu’il continue à apprendre sans chagrin. Sa dernière lettre est charmante.

Adieu, mon cher enfant. Je vous embrasse comme je vous aime. C’est du fond de mon âme.