Correspondance 1812-1876, 3/1853/CCCLXVII

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CCCLXVII

À MADAME AUGUSTINE DE BERTHOLDI, À VARSOVIE


Nohant, 28 octobre 1853.


Ma chère mignonne, je suis bien contente de te savoir arrivée en bonne santé, et installée chez de si excellents parents. Embrasse mon Georget, qui écrit de si belles lettres et qui voyage comme un homme. Rien de nouveau depuis ton départ. Maurice, Lambert et Manceau sont toujours ici ; nous allons prendre notre volée pour Paris dans peu de jours, je pense. Nous attendons qu’on nous dise que Mauprat est près de passer.

Il paraît que les répétitions vont bien et qu’on prépare des décors superbes. Mademoiselle Fernand jouera Edmée. Elle va jouer aussi Claudie, que l’on reprend à l’Odéon. On a repris le Champi avec de nouveaux acteurs. La petite Bérengère, que tu as vue ici, a joué très bien Mariette. Thiron est parti avec Rachel pour la Russie ; il fait partie de sa troupe. Peut-être le verras-tu à Varsovie. Buthiaud a débuté très bien à l’Odéon. Le Pressoir va toujours bien. Voilà toutes les nouvelles de théâtre nous concernant.

Moi, j’ai fait un roman, et une préface pour la nouvelle édition de Balzac. Voilà mon travail de ce mois-ci. Je me porte bien. Je travaille tous les jours à mon petit Trianon : je brouette des cailloux, j’arrache et je plante du lierre, je m’éreinte dans un jardin de poupée, et cela me fait dormir et manger on ne peut mieux. Nous avons eu des temps affreux ; mais, depuis quelques jours, il fait chaud comme en été, et nous avons été aujourd’hui nous promener au Magnier.

Madame Fleury est partie avec ses filles pour rejoindre son mari à Bruxelles. Le pauvre Planet s’en va, lui, tout à fait. Il se promène encore un peu, et il est venu me voir hier, avec sa femme et son beau-père. Il se voit bien partir et fait ses adieux à tous ses amis avec sa bonté et son effusion ordinaires. Je ne le crois pas si près de sa fin que les médecins le prétendent ; mais je crois bien qu’il n’en reviendra pas. C’est un vrai chagrin pour moi ; car, après Rollinat, c’était le meilleur du pays.

L’empereur et l’impératrice ont été voir le Pressoir. L’empereur a beaucoup applaudi, l’impératrice a beaucoup pleuré. On s’inquiète fort de la guerre à Paris. Dans les campagnes, tu sais qu’on ne s’occupe que du temps qu’il fait. La vendange est à peu près nulle. La moisson a été mauvaise. Les noix ont gelé. Les pommes de terre sont malades. On craint un hiver très malheureux pour les pauvres, gêné pour tout le monde.

Comme nous voilà tout seuls en famille, le petit théâtre remplace le grand, et Maurice, avec Lambert, nous donne souvent des représentations de marionnettes. Ils ont fait encore des merveilles de décors et de costumes.

J’espère que je te donne un bulletin complet de nos faits et gestes. Réponds-moi pour tout ce qui t’occupe et t’intéresse. Écris-moi toujours ici ; car je ne compte pas rester longtemps à Paris, et, d’ailleurs, on me renverra tes lettres.

Bonsoir, ma mignonne chérie ; je t’embrasse mille fois. Maurice t’embrasse de tout son cœur.