Correspondance 1812-1876, 4/1854/CCCLXX

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CCCLXX

À MADAME AUGUSTINE DE BERTHOLDI, À VARSOVIE


Nohant, 3 janvier 1854.


Ma chère mignonne, je reçois ta lettre de nouvel an ; j’étais bien sûre que tu penserais à moi, et je t’embrasse mille fois, en te souhaitant aussi tous les biens de ce monde, les vrais : le bonheur domestique, les bons amis, et un peu d’aisance en travaillant. Je vois que, pour le moment, tu vis comme une reine, au milieu des gâteries d’une excellente et charmante famille. Je te vois courant en traîneau, emmaillotée de fourrures princières et croyant rêver. Je vois aussi M. George écarquillant les yeux devant son arbre de Noël. Je te dirai que cette fête, perdue en France, s’est conservée à la Châtre ; ce qui prouve encore une fois que le Berry est la croûte aux traditions. Nini, qui est avec moi depuis mon retour de Paris, a été invitée à passer les fêtes de Noël chez Angèle, qui a un joli garçon du même âge que Nini, un George aussi, qu’elle a adopté pour son petit mari et dont elle est positivement folle. Elle a donc vu l’arbre merveilleux et elle ne tarit pas sur ce chapitre.

Oui, j’avais reçu ta lettre à Paris, ma chère fille, et mon retard à te répondre est tout de ma faute : j’ai quitté Paris si enrhumée, que j’en étais imbécile. Arrivée ici, j’ai travaillé, jardiné et si bien rempli mon temps, que, fatiguée le soir d’avoir écrit ou pioché la terre toute la journée, j’allais me coucher, remettant mes lettres au lendemain.

Depuis que nous sommes littéralement enterrés sous la neige, — on en a rarement vu autant, dans ce pays-ci, que cette année ! — je me fatigue encore davantage, pour combattre le froid, qui me rend ordinairement malade, et dont je triomphe par une santé comme je ne l’ai jamais eue. Plus de migraines, plus de douleurs, rien. Je dois cela à la fureur du jardinage, que je poursuis jusque dans les temps impossibles. En ce moment, je balaye la neige et je fais des forteresses avec Maurice ; car tu sauras que Maurice a eu la gentillesse de venir avec Solange, par le temps le plus affreux, un ouragan, des tourbillons et du verglas, pour passer le jour de l’an avec moi et faire cette veillée que tu connais, où l’on se saute au cou, sur le coup de minuit, en échangeant des petits cadeaux. Ce jour heureux a été cependant bien attristé par la mort du pauvre Planet.

Mes enfants sont encore avec moi pour quelques jours, et je pense que Solange remmènera Nini, qui est devenue charmante, sauf quelques caprices. Elle est si drôle, qu’on la gâte malgré soi. Nous avons bien pensé à toi, chère fille, en nous embrassant tous. Aussi suis-je chargée de mille embrassades pour toi ; mais je pense qu’on ne me laissera pas fermer ma lettre sans te les offrir directement. Notre petit Lambert n’est pas là, malheureusement, lui qui est le plus spirituel de la société.

Bonsoir, mon enfant chéri. J’embrasse Georget sur ses grosses joues roses et je le charge d’embrasser pour moi les beaux enfants de Marie[1].

Donne-moi souvent de tes nouvelles, et sois sûre qu’on t’aime ici de loin comme de près.

  1. Belle-sœur de madame de Bertholdi.