Correspondance 1812-1876, 4/1855/CCCLXXXVIII

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CCCLXXXVIII

À MADEMOISELLE LEROYER DE CHANTEPIE,
À ANGERS


Nohant, 27 février 1855.


Mademoiselle,

Je vous conseille et vous prie, même, puisque vous avez la bonté de compter sur ma vive sympathie pour vous, de quitter le milieu où vous souffrez tant, et d’aller vivre à Paris ; vous y trouverez les nobles distractions dont une âme comme la vôtre a besoin, la musique, les arts et des relations que votre intelligence élevée et votre cœur généreux sauront vite créer.

Si le catholicisme vous est nécessaire, vous rencontrerez certainement un directeur de conscience assez éclairé pour vous guérir de cette maladie des scrupules, que je connais bien, et que j’ai subie dans ma jeunesse assez cruellement pour vous comprendre et vous plaindre. Non, il ne faut pas qu’une âme comme la vôtre succombe à ces vaines terreurs. Il faut vous relever par de fortes et saines lectures. Je suis trop ignorante pour vous les indiquer ; mais écrivez à M. Jean Reynaud, envoyez-lui ma lettre, si vous voulez. Il saura par là que je vous connais et que votre besoin de secours intellectuel n’est pas une frivole inquiétude.

Oui, je vous connais sans vous avoir vue ; mais n’y a-t-il pas bientôt dix ans que vous m’écrivez ces grandes lettres où, au milieu des contradictions et des troubles d’une pensée ardente, j’ai toujours trouvé votre bonté si entière, si spontanée, si naïve, et votre jugement si généreux et si droit en tout ce qui est essentiel !

Demandez-lui de vous indiquer des livres qui vous sauvent, et, faites mieux, quittez cette solitude où vous vous consumez, où ce qui vous entoure vous laisse et vous rend encore plus seule, je le vois bien. Je ne connais pas assez M. Jean Reynaud pour vous adresser à lui, sans qu’il vous connaisse. Mais faites-vous connaître à lui ; son livre m’a fait un grand bien, à moi aussi, et j’avais grand besoin de trouver, dans la haute science d’un esprit de premier ordre, la confirmation raisonnée de tous mes instincts ; car mon courage a été bien éprouvé dernièrement !

J’ai perdu une enfant adorable et adorée, la fille de ma pauvre fille. Je viens d’être malade, ce qui m’a empêchée de vous répondre, et, maintenant, je suis encore si délabrée, que mon fils, mon cher fils, m’emmène voyager un peu. Je pars dans deux jours. Dans deux mois, je serai de retour à Nohant, où vous m’enverrez, j’espère, de meilleures nouvelles de vous. Avant de rentrer ici, je passerai quelques jours probablement à Paris. Si vous réalisez votre tentation d’y aller demeurer, faites-le-moi savoir à Paris, dans les premiers jours de mai.

Pardonnez-moi de vous répondre si peu, je suis brisée encore, mais je crois. Je suis sûre de retrouver mon enfant dans un meilleur monde ; et, vous dont le cœur est si pur, vous devez être sûre aussi de votre avenir. Douter de la bonté de Dieu est une faiblesse de notre nature. Mettez toutes les forces de votre esprit à croire à cette bonté, et vous sentirez qu’elle a son reflet en vous-même.

N’ayez pas peur de la mort : c’est un bien bon refuge, allez, et, quand on le comprend, le courage consiste à ne pas la désirer trop.

À vous de cœur toujours, chère âme en peine.

GEORGE SAND.