Correspondance 1812-1876, 4/1855/CCCXCV

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CCCXCV

À LA MÊME


Nohant, 4 septembre 1855.


Ma chère belle et bonne,

Ce n’est plus la pièce que vous savez. Vous me l’aviez fait raimer ; mais, en la relisant seule, j’ai trouvé de si grandes révolutions à y introduire, que j’ai remis cela paresseusement à l’année prochaine. Et puis j’ai pensé à vous et à toute sorte de choses, et j’ai fait une autre pièce en cinq actes où je n’aurai pas besoin d’acteurs en dehors de ceux que je connais au Théâtre-Français.

Nous verrons à remanier le Lys quand Bocage y viendra naturellement et de son propre mouvement. Mais, pour rien au monde, je ne voudrais être cause qu’un artiste fût enlevé à Montigny, que j’aime de tout mon cœur, et, quand même je ne serais qu’une cause passive, je suis sûre que je lui ferais de la peine.

D’ailleurs et avant tout, me voilà dans un autre sujet qui me plaît et m’amuse, où votre personnage est dix fois mieux développé et plus fait pour vous ; où Bressant serait tout à fait l’homme qu’il me faut, et où madame Allan nous resterait dans un rôle qu’elle fera comique et où elle restera belle ; car j’étais chagrine de la vieillir.

J’irai à Paris vers le 10, je ne vous porterai pas la pièce. Elle ne sera pas encore écrite. Le dialogue est pour moi la seconde façon car, du gros manuscrit que j’ai là sous la main, il ne restera que ce qui doit rester. Je demanderai à M. Doucet de venir me voir. Je lui dirai comme quoi le manque de parole du ministère à propos de Flaminio, autorisé en cinq actes et non toléré en quatre, puisqu’on m’a fait afficher un prologue et trois actes, m’est resté sur le cœur, non pas comme une rancune, je ne connais pas ça, mais comme une méfiance des gracieusetés qu’on appelle eau bénite de cour.

Nous conviendrons de quelque chose sérieusement ; car je ne veux pas faire un gros travail ad hoc pour le Théâtre-Français pour m’ouïr dire que l’on a changé d’idée. Rien n’est plus contrariant que d’écrire pour certains artistes, et d’être forcé d’adapter ensuite la forme aux qualités d’autres artistes, qui ne sont jamais les mêmes qualités. Je m’occuperai aussi de Molière, M. Doucet me dira par quoi l’on préfère commencer. Moi, je préfère que l’on commence par Françoise ; c’est ainsi, jusqu’à nouvel ordre, que j’intitule mon nouvel essai.

À vous de cœur, m’a bien charmante héroïne. Aimez-moi comme je vous aime et comme je vous comprends.

GEORGE SAND.