Correspondance 1812-1876, 4/1859/CDXLVI

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CDXLVI

À M. OCTAVE FEUILLET, À PARIS


Nohant, 18 février 1859.


Il y a bien longtemps, monsieur, que je veux vous dire que j’aime votre talent d’une affection toute particulière. Vous sachant fier et modeste, je craignais de vous effaroucher. À présent que de grands succès doivent vous avoir appris enfin tout ce que vous êtes, il me semble que vous comprendrez mieux le besoin que j’éprouve de vous envoyer mes applaudissements. Vivant loin de Paris, je n’ai pas pu voir le Roman d’un jeune homme pauvre ; mais j’ai fait venir la pièce et je l’ai lue à un ancien ami à vous, qui est le mien depuis dix ans. Après cela, nous avons parlé toute la journée de la pièce et de vous et j’ai voulu lire aussi plusieurs proverbes ravissants qui m’avaient échappé. Nous avons donc passé, avec vous, deux ou trois bonnes journées. On lit si bien à la campagne, l’hiver, dans la vieille maison pleine de souvenirs, au milieu de toutes ces choses et le cœur plein de tous ces sentiments que vous peignez avec tant de charme et de tendre délicatesse ! Après cela, il est bien naturel qu’on veuille vous le dire et vous remercier de ces heures exquises que l’on vous doit. Il y aurait de l’ingratitude à ne pas le faire, n’est-ce pas ? Et puis je suis de l’âge des grand’mères et mon compliment peut bien ressembler à une bénédiction. Ce n’est donc embarrassant ni pour vous ni pour moi. Je ne vous demande pas de m’en savoir gré, mais je vous prie d’y croire comme à une parole sincère et qui peut, entre mille autres, vous porter bonheur.

GEORGE SAND.