Correspondance 1812-1876, 4/1860/CDLXV

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CDLXV

À M. ERNEST PÉRIGOIS, À NICE


Nohant, 25 décembre 1860.


Mon cher enfant,

J’ai su vos cruelles mésaventures ; mais, en somme, nous rendons tous grâce à Dieu de ce que vous en avez été quittes pour la peur, et nous aussi, effrayés rétrospectivement pour vous autres ! Vous me trouverez optimiste de dire quittes pour la peur, puisque vous avez eu contusions et blessures, surtout la pauvre bonne. Mais, quand on ne se casse ni bras ni jambe en pareille affaire, on est encore heureux. Rassurez donc Angèle en lui disant combien les accidents de voyage sont rares ; puisque tel touriste n’en a rencontré aucun dans toute sa vie ; celui qui vous a accroché est une garantie pour l’avenir.

Et puis qu’est-ce que le danger des voyages ? Le danger n’est-il pas partout et à toute heure ? n’ai-je pas été prise de maladie terrible pour une promenade au clair de lune, par un temps superbe, dans mon jardin ? Du jour au lendemain, étranglée au milieu du bien-être, du calme, de la gaieté, de la santé parfaite, j’étais à la mort. Est-ce à dire que je n’irai plus dans mon jardin et que je ne regarderai plus la lune ? Disons-nous bien que nous tenons à un fil, et, cela dit, n’y songeons plus, ou nous ne vivrons pas, par crainte de mourir. Je sais bien qu’Angèle a peur pour vous et pour son enfant plus que pour elle-même ; mais ne la laissez pas devenir superstitieuse en croyant vous-même à des guignons et à des pressentiments. Le danger perpétuel et sous toutes les formes étant le milieu auquel nous ne pouvons échapper, il y a aussi un miracle perpétuel bien plus remarquable et envers lequel nous sommes affreusement ingrats, et, ce miracle, c’est que nous y échappons souvent. Si j’étais auprès d’elle, je suis sûre que je lui ferais oublier ces terreurs, qui sont une maladie de l’imagination.

Maigre vos infortunes, je vous envie d’être là-bas, sous un beau ciel et dans un pays accidenté. Vous ne me dites rien de votre santé ; j’en augure qu’elle est déjà meilleure et je me réjouis de ce que vous ne soyez point à Rome dans cette saison. C’est un endroit malsain, où l’hiver est froid et long, où l’on ne trouve aucun bien-être ; un pays à donner le spleen même aux escargots. Vous me tentez bien avec Nice ; mais Hyères est plus près, plus chaud, dit-on, et, je crois, moins cher. Vous me faites frémir avec votre maison tout entière pour mille francs par mois douze mille francs par an ! Peste ! je le crois bien ! On me dit qu’à Hyères je dépenserai mille francs par mois pour quatre personnes, la nourriture, etc., tout compris, et que nous serons fort bien. Enfin, nous verrons. Je vous écrirai de là au mois de février et peut-être vous tenterai-je. Si vous ne venez pas nous rejoindre, nous irons toujours vous voir ; car nous comptons visiter tout ce littoral.

Donnez-nous de vos nouvelles souvent, nous vous tiendrons au courant de notre côté.

J’embrasse ta chère famille de tout cœur.

À bientôt.

G. SAND.