Correspondance 1812-1876, 4/1861/CDLXXXIX

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CDLXXXIX

À MAURICE SAND, À BORD DU JÉRÔME-NAPOLÉON


Nohant, 11 août 1861.


Cher enfant,

J’ai reçu ta lettre d’Halifax, et aujourd’hui madame Villot m’écrit que votre navire a été rencontré par un bâtiment qui signale votre arrivée à New-York. Elle me dit que l’on peut vous écrire encore une fois. Où ? elle ne me le dit pas plus que toi et je suis toujours réduite à écrire au hasard, me désolant de l’inquiétude que tu peux avoir et ne sachant pas si M. Hubaine t’a expédié mes lettres. Cette fois, j’envoie par madame Villot. Peut-être, des huit ou dix lettres que je t’ai écrites, en recevras-tu au moins une !

Dieu veuille que tu ne sois pas inquiet, cher enfant ! Je serais bien fâchée de te gâter ce beau voyage par un tourment d’esprit. Je me porte bien et je me défends de toute inquiétude pour mon compte, voulant que tu me retrouves en bon état de santé morale et physique. Je reçois tes lettres qui me donnent du calme et du courage. Que de choses tu auras vues ! que de choses à me raconter ! Je n’aime pas beaucoup les brouillards où vous errez cinq ou six jours, par exemple ! Enfin il faut qu’il y ait de tout cela dans votre tournée d’aventures ! Ce sont des souvenirs qui s’amassent pour toi, et j’espère que tu en tiens journal, pour les retrouver dans leur ordre, et me dire tout cela clairement. Je te suis sur la carte ; mais comme ce sera plus joli quand tu seras là pour me tracer la route ! Tu auras passé cette année par trente-sept sortes de temps avec des saisons tout à l’envers. Pendant que tu avais froid à Terre-Neuve, on cuisait ici, et, pendant que tu grillais en Afrique, nous grelottions dans nos habits d’été.

À présent, nous avons un été superbe et nous allons tous les jours à la rivière. Dumas y allait matin et soir. Il est parti, et nous partons nous-mêmes demain pour Gargilesse (deux ou trois jours).

Nous n’avons rien de nouveau au pays. Dans la maison, rien de changé ; car le mariage du jardinier et de la cuisinière n’a rien modifié au personnel. Je travaille toujours dans le même local, sauf qu’il est propre et gentil et commode. Je fais toujours de la botanique quand j’ai le temps. Nous avons eu Bérengère deux fois et elle reviendra encore. Il y a du nouveau très étrange, très heureux pour elle dans sa vie. Je te conterai ça. Solange est à Paris ou à Spa, on ne peut pas savoir.

Madame Villot a reçu des lettres de New-York : j’espère en avoir une de toi demain en passant à la Châtre. Les vieux Vergne sont venus la semaine dernière et m’ont beaucoup parlé de toi. Tout le monde t’aime et te bige. Et moi, cher enfant, je te bige mille fois et je t’aime de toute mon âme.