Correspondance 1812-1876, 4/1862/DVI

La bibliothèque libre.



DVI

À MADAME PAULINE VILLOT, À PARIS


Nohant, 22 février 1862.


Chère cousine,

Ayez du courage pour ceux qui vous aiment ! ayez-en plus que moi, qui veux pourtant en avoir et qui retombe à chaque instant dans les larmes. Il est plus heureux que nous pourtant, lui[1] ! il a monté d’un degré dans une phase plus épurée et moins douloureuse certainement que la cruelle vie où nous nous traînons, où nous ne sommes heureux que par l’affection, et où justement nous perdons la source de notre bonheur, nos enfants, nos parents, nos amis, au moment où nous comptons le plus qu’ils nous survivront. Ah ! ce n’est vraiment pas vivre que d’être ainsi tous les jours à trembler ou à pleurer, et il y a quelque chose de mieux, ou bien tout n’est qu’un rêve, Dieu, la vie, et nous-mêmes.

Croyons ; comptons sur une justice et sur une bonté en dehors de notre appréciation ; moi, je ne pourrais pas ne pas croire ; je sens si profondément que le départ de cet adorable enfant ne lui a rien ôté de mon affection et qu’il vit toujours pour moi, et auprès de moi, comme si je le voyais ! vous devez sentir cela encore plus que moi, vous sa tendre mère. Il n’est donc pas parti, il ne nous a pas quittés. Il est invisible pour nous ; mais il nous aime toujours, en quelque lieu et sous quelque forme qu’il existe.

Nous lui devons autant, disparu, que nous lui devions quand il était là. Aussi vous lui devez de vivre avec courage, de prendre soin de vous, et de vous conserver jeune et forte pour soigner ce pauvre père souffreteux, qui ne vit que par les soins de l’affection et son propre courage. Et l’autre enfant, si beau et si bon, lui aussi, a besoin que vous l’aimiez, et tant d’amis dévoués, et nous qui ne faisons qu’un cœur avec vous dans cette mortelle douleur !

Le prince en a été déchiré aussi ; il m’a écrit une lettre désolée. Tout le monde l’aimait, ce cher être, si aimable et si expansif.

Maurice a été si bouleversé et si étouffé, que j’en ai été inquiète. Bonne amie, épanchez-vous avec nous ; parlez-nous de lui, de Frédéric, de vous, et de Georges.

Pleurez, ne vous retenez pas. N’ayez pas de courage et de réserve avec nous ; n’ayez de force que pour reprendre la vie de dévouement, et croyez que nous sommes à vous, Maurice et moi, corps et âme.

G. SAND.
  1. Lucien Villot.