Correspondance 1812-1876, 4/1863/DXXXIII

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DXXXIII

À M. ALEXANDRE DUMAS FILS, À PARIS


Nohant, 26 août 1863.

Eh bien, mon cher lumineux fils, êtes-vous reposé de votre affreux départ ? On m’a dit que vous étiez parti horriblement, par la trahison de l’imbécile qui fait le service. Il est si facile d’avoir une voiture de louage à la Châtre, que nous sommes tous des niais de compter sur autre chose, après tous les tours que nous a joués cette diligence. Dites-en tous mes regrets à Gautier[1], et promettez-lui que cela n’arrivera plus. Qu’il n’oublie pas que nous comptons qu’il reviendra et qu’on l’avertira de ce qu’il y aura d’instructif à voir pour la partie matérielle, dans nos représentations. Remerciez-le pour moi et pour nous tous de sa bonne visite.

Quant à vous, cher fils, je ne vous remercie pas autrement qu’en vous aimant d’autant plus que vous vous êtes dévoué pour moi. Grâce à vous, je vois clair dans le travail, et je refais avec soin un scénario plus développé. Je suis même étonnée d’avoir pour cela la mémoire que je n’ai pas pour autre chose. Je me rappelle tout ce que vous m’avez dit comme si c’était écrit. C’est un plaisir de vous voir composer et improviser une pièce en causant. À présent que je relis cette carcasse, je suis étonnée de sa logique et de la manière dont elle se tient. Allons, vous n’êtes pas encore crétin, mon bonhomme, et vous avez un monde de compositions et de succès dans la trompette. Je ne suis pas en peine de vous : si vous n’allez pas plus vite, c’est que vous êtes paresseux. Mais qu’est-ce que ça fait si ça vous plaît de l’être ? Ce qui importe, c’est que, quand vous travaillez une heure, vous travaillez comme cent.

Tout mon monde vous envoie des amitiés en masse. Maurice n’est pas encore revenu.

Votre maman vous embrasse.

  1. Théophile Gautier.