Correspondance 1812-1876, 5/1866/DXCVIII

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DXCVIII

À SON ALTESSE LE PRINCE NAPOLÉON (JÉRÔME),
À PARIS


Nohant, 20 janvier 1866.


Cher prince,

Je veux vous donner moi-même de nos nouvelles. J’ai toujours été, depuis dix jours, sage-femme ou nourrice, berceuse ou garde-malade, et je n’ai pas eu un moment de repos. Ma belle-fille, après une délivrance prompte et heureuse, a été assez sérieusement malade à plusieurs reprises. Elle va mieux sans être guérie, et, comme cela peut se prolonger et la fatiguer trop pour nourrir, nous avons donné une belle paysanne à mademoiselle Aurore.

Au milieu de tout cela, Maurice, en courant au secours dans un incendie, a failli être tué et je l’ai vu rentrer couvert de sang ; ce qui, au premier moment, n’est pas gai pour une mère médiocrement spartiate. Heureusement, c’est sans gravité, et il n’aura qu’une cicatrice bien présentable. Nous voilà donc, sinon tout à fait tranquilles, du moins en état de respirer ; mais je ne peux pas encore quitter ma chère couvée ; et, pourvu que vous ne partiez pas pour quelque nouveau voyage avant que je vous aie revu ! Il y a des siècles, et je ne m’y habitue pas.

Toutes ces émotions ont coupé mon travail et mes projets de cet hiver pour le théâtre. Les artistes, dit-on, ne devraient pas avoir de famille. Moi, je crois le contraire, pour mille raisons que vous savez mieux que moi.

Joyeuse, triste, inquiète ou tranquille, je vous aime et je pense à vous, cher prince, comme à une des meilleures affections de ma vie.

Mon blessé et ma malade vous remercient de votre bonne lettre, et me chargent de les bien rappeler à vous ; Calamatta vous envoie l’expression de son respect.

G. SAND.