Correspondance 1812-1876, 6/1870/DCCXXXIX
DCCXXXIX
À GUSTAVE FLAUBERT, À CROISSET
Je trouve cette guerre infâme ; cette Marseillaise autorisée, un sacrilège. Les hommes sont des brutes féroces et vaniteuses ; nous sommes dans le deux fois moins de Pascal ; quand viendra le plus que jamais ?
Nous avons ici des 40 et 45 degrés de chaleur à l’ombre. On incendie les forêts : autre stupidité barbare ! Les loups viennent se promener dans notre cour, où nous les chassons la nuit, Maurice avec un revolver, moi avec une lanterne. Les arbres quittent leurs feuilles et peut-être la vie. L’eau à boire va nous manquer ; les récoltes sont à peu près nulles ; mais nous avons la guerre, quelle chance !
L’agriculture périt, la famine menace, la misère couve en attendant qu’elle se change en Jacquerie ; mais nous battrons les Prussiens. Malbrough s’en va-t-en guerre !
Tu disais avec raison que, pour travailler, il fallait une certaine allégresse ; où la trouver par ce temps maudit ?
Heureusement, nous n’avons personne de malade à la maison. Quand je vois Maurice et Lina agir, Aurore et Gabrielle jouer, je n’ose pas me plaindre, de craindre de perdre tout.
Je t’aime, mon cher vieux, nous t’aimons tous.