Correspondance 1812-1876, 6/1871/DCCLXXV
DCCLXXV
À M. CHARLES PONCY, À TOULON
Ne nous décourageons pas trop, mes enfants. Souhaitons-nous quand même une meilleure année. Notre honneur s’est bien relevé. Paris est admirable, et, ailleurs, nos troupes tiennent mieux et supportent héroïquement l’horrible hiver. Quelle douleur de songer à tous les maux que ces pauvres enfants endurent ! Et tant de morts, de malades et de blessés ! Nous payons cher l’Empire. Pourvu que nous n’y retombions pas !
Nous sommes toujours à Nohant, bloqués par le froid et la neige, et par l’impossibilité de voyager, puisque les chemins de fer ne fonctionnent plus que pour l’armée. Si l’ennemi, qui nous a menacés plusieurs fois de bien près, revient sur nous, nous serons forcés de nous en aller à petites journées. Ce sera dur pour nos enfants dans cette saison, et Dieu sait si les chemins sont praticables aux voitures.
Et puis où irons-nous ? Si la peste noire, qui nous a dernièrement chassés de chez nous, sévit à Toulon, nous n’irons pas là. Et puis encore, avec quel argent voyagera-t-on, puisque la campagne ne rapporte plus rien et qu’on ne peut ravitailler sa maigre bourse à Paris ? Si j’étais seule, je ne quitterais certes pas mon nid, dussé-je être brûlée avec. On est si las de la vie ! Mais les enfants ! Il faut les sauver à tout prix.
Enfin, on vit au jour le jour. On tâche de soutenir le courage autour de soi et d’espérer pour la France.
Embrassez pour nous la pauvre Solange. Son fiancé reviendra et il y aura peut-être encore de beaux jours.
Nos tendresses et nos remerciements pour le bon souvenir.