Correspondance 1812-1876, 6/1874/CMVIII

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Texte établi par Calmann-Lévy,  (Correspondance Tome 6 : 1870-1876p. 305-306).


CMVIII

AU MÊME


Nohant, 5 janvier 1874.


Votre lettre a rendu Aurore bien fière ; mais nous nous inquiétons de la santé de votre fille. Un mot quand vous serez tout à fait rassuré ; jusque-là, nous serons tristes et tourmentés avec vous.

Non certes, mon ami, je n’ai pas été à Paris en même temps que vous. Je ne voudrais pas que vous puissiez conserver un doute à cet égard. Je n’ai pas revu Paris depuis le 10 mai dernier. Si vous y étiez, aucune des personnes que j’y connais ne l’a su.

Vous dites que, même en politique, nous nous entendrions : je n’en sais rien, car je ne vois pas votre vision actuelle des événements et ne sais pas ce que vous en espérez pour la France ; si vous désirez nous voir chercher le remède à nos malheurs dans la personne d’un enfant. — Non, vous ne pouvez pas vouloir cela. Je comprendrais davantage une ambition personnelle ; mais, quoique la vôtre fût légitimée par une grande intelligence, vous auriez pour premier ennemi le parti de la veuve et de l’enfant. Enfin, je ne vois pas du tout, d’ici à un temps impossible à déterminer, l’impérialisme réunir les suffrages.

Nous sommes trop près de trop grands désastres, et, pour moi, vos titres à une grande position seraient précisément ceux que vous ne pouvez probablement pas faire valoir : vos idées sont plus avancées que toutes celles des autres candidats à l’omnipotence. — Ah ! voilà le hic ! Est-il résolu pour vous ? Il ne le serait pas pour moi, si vous me consultiez au point de vue du succès matériel. Je dis seulement qu’il n’y aurait que cela à risquer avec succès moral, et celui-ci est généralement le contraire de l’autre. Quoi qu’il arrive, que vous vous trompiez ou que vous soyez plus lucide que nous tous, mon affection pour vous reste et restera ce que vous l’avez faite, le jour où, spontanément, vous vous êtes mis en cent pour sauver mes amis (vos ennemis politiques) malheureux.

Je n’ai pas besoin que vous soyez un grand prince pour vous aimer ; faites des bêtises si vous voulez ! vous aurez toujours ce cœur généreux et cette saisissante intelligence que je connais.

À vous donc, et toujours.

GEORGE SAND.

Mes lettres vous arrivent-elles intactes ?