Correspondance 1812-1876, 6/1876/CMLXVII

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Texte établi par Calmann-Lévy,  (Correspondance Tome 6 : 1870-1876p. 403-404).


CMLXVII

À M. LE DOCTEUR HENRI FAVRE, À PARIS


Nohant, 28 mai 1876.


Merci de votre bonne lettre, cher ami ! Je suivrai toutes vos prescriptions. Je veux ajouter à mon compte rendu d’hier la réponse à vos questions d’aujourd’hui. L’état général n’est pas détérioré, et, malgré l’âge (soixante et douze ans bientôt), je ne sens pas les atteintes de la sénilité.

Les jambes sont bonnes, la vue est meilleure qu’elle n’a été depuis vingt ans, le sommeil est calme, les mains sont aussi sûres et aussi adroites que dans la jeunesse. Quand je ne souffre pas de ces cruelles douleurs, il se produit un phénomène particulier, sans doute, à ce mal localisé : je me sens plus forte et plus libre dans mon être que je ne l’ai peut-être jamais été. J’étais légèrement asthmatique : je ne le suis plus ; je monte des escaliers aussi lestement que mon chien.

Mais, une partie des fonctions de la vie étant presque absolument supprimées, je me demande où je vais, et s’il ne faut pas s’attendre à un départ subit, un de ces matins[1]. J’aimerais mieux le savoir tout de suite que d’en avoir la surprise. Je ne suis pas de ceux qui s’affectent de subir une grande loi et qui se révoltent contre les fins de la vie universelle ; mais je ferai, pour guérir, tout ce qui me sera prescrit, et, si j’avais un jour d’intervalle dans mes crises, j’irais à Paris, pour que vous m’aidiez à allonger ma tâche ; car je sens que je suis encore utile aux miens.

Maurice va mieux. Nous faisons tous des vœux pour votre malade, et nous croyons que vous le sauverez ; — et nous vous aimons.

G. SAND.
  1. George Sand s’est alitée deux jours après cette lettre et est morte, après dix jours de souffrances, le 8 juin 1876.