Correspondance avec Élisabeth/Élisabeth à Descartes - Berlin, 11 avril 1647

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- Descartes à Élisabeth - La Haye, mars 1647 Correspondance avec Élisabeth - Descartes à Élisabeth - Egmond, 10 mai 1647


Monsieur Descartes,

Je n'ai point regretté mon absence de La Haye, que depuis que vous me mandez y avoir été, et que je me sens privée de la satisfaction que je voulais avoir en votre conversation, pendant le séjour que vous y faisiez ; il me semblait que j'en partais toutes les fois plus raisonnable, et encore que le repos que je trouve ici, parmi des personnes qui m'affectionnent et m'estiment beaucoup plus que je ne le mérite, surpasse tous les biens que je puisse avoir ailleurs, il n'approche point de celui-là, que je ne me saurais néanmoins promettre en quelques mois, ni en prédire le nombre, puisque je ne vois point que Madame l'Electrice, ma tante, soit en humeur de permettre mon retour, et que je n'ai point sujet de l'en presser, avant que M. son fils soit auprès d'elle, ce qui, selon qu'il demande lui-même, ne sera qu'au mois de septembre ; et peut-être que ses affaires l'obligeront de venir plus tôt ou de s'arrêter plus longtemps. Ainsi je puis espérer, mais non pas m'assurer que j'aurai le bonheur de vous revoir au temps que vous avez proposé votre retour de France. Je souhaite que vous puissiez rencontrer en ce voyage le succès que vous y demandez, et que, si je n'avais expérimenté la constance de vos résolutions, je craindrais encore que vos amis ne vous obligeront d'y demeurer. Je vous supplie cependant de donner une adresse à ma sur Sophie, afin que je puisse avoir quelquefois de vos nouvelles, qui ne laisseront pas de m'être agréables, combien qu'elles seront longtemps en chemin.

Après Pâques, nous irons à Crossen, qui est le domaine de Madame ma tante, sur les frontières de Silésie, pour y demeurer trois semaines ou un mois, où la solitude me donnera plus de loisir pour la lecture, et je l'emploierai tout aux livres que vous avez eu la bonté de m'envoyer, pour lesquels je vous prie de recevoir ici mes remerciements. J'ai eu plus d'envie de voir le livre de Regius, pour ce que le sais qu'il y a mis du vôtre, que pour ce qui y est du sien. Puisqu'outre qu'il va un peu vite, il s'est servi de l'assistance du docteur Jonson, à ce que lui-même m'a dit, qui' est capable de l'embrouiller encore davantage, ayant l'esprit assez confus de soi ` et il ne lui donne point la patience de comprendre les choses qu'il a lues ou entendues. Mais quoique j'excuserais toutes les autres fautes dudit Regius, je ne saurais lui pardonner l'ingratitude dont il use envers vous, et le tiens tout à fait lâche, puisque votre conversation ne lui a pu donner d'autres sentiments.

M. Hogelant aura assurément bien réussi en ce qu'il a fait imprimer, puisqu'il y a suivi vos principes, que je ne saurais ici faire entendre à pas un des doctes de Berlin, tant ils sont préoccupés de l'école. Et celui que je nommais en ma dernière ne m'a point vu, depuis que je lui ai prêté votre physique, qui est un signe assuré que tout le monde se porte fort bien ici, puisqu'il est un des médecins de la maison.

Lorsque je vous disais ne me point vouloir servir de remèdes pour les apostèmes que j'ai eus en l'automne, j'entendais de ceux qui viennent de l'apothicaire, puisque les herbes rafraîchissantes et qui purgent le sang me servent d'aliment au printemps, n'ayant d'ordinaire d'appétit en cette saison pour autre chose. Je prétends aussi me faire saigner en peu de jours, puisque j'en ai pris une mauvaise coutume, que je ne saurais changer à cette heure sans en être incommodée du mal de tête. J'aurais peur de vous en donner par ce fâcheux récit de moi-même, si votre soin de ma santé ne m'y avait portée. Il me donnerait encore beaucoup de vanité, si j'en pouvais trouver d'autre cause que l'extrême bonté que vous avez pour

Votre très affectionnée amie à vous servir,

Élisabeth.