Correspondance avec Élisabeth/Élisabeth à Descartes - La Haye, juillet 1646

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- Descartes à Élisabeth - Egmond, mai 1646 Correspondance avec Élisabeth - Descartes à Élisabeth - Egmond, septembre 1646


Monsieur Descartes,

Puisque votre voyage est arrêté pour le 3me/13 de ce mois, il faut que je vous représente la promesse que vous m'avez faite de quitter votre agréable solitude, pour me donner le bonheur de vous voir, avant que mon partement d'ici m'en fasse perdre l'espérance pour six ou sept mois, qui est le terme le plus éloigné que le congé de la Reine ma mère, de M. mon frère, et le sentiment des amis de notre maison ont prescrit à mon absence. Mais il me serait encore trop long, si je ne m'assurais que vous y continuerez la charité de me faire profiter de vos méditations par vos lettres, puisque, sans leur assistance, les froideurs du nord, et le calibre des gens avec qui je pourrais converser, éteindraient ce petit rayon de sens commun que je tiens de la nature, et dont je reconnais l'usage par votre méthode. On me promet en Allemagne assez de loisir et de tranquillité pour la pouvoir étudier, et je n'y amène de plus grands trésors, d'où le prétends tirer plus de satisfaction, que vos écrits. J'espère que vous me permettrez d'emporter celui des passions, encore qu'il n'a été capable de calmer ceux que notre dernier malheur avait excités. Il fallait que votre présence y apportât la cure, que vos maximes ni mon raisonnement n'avaient pu appliquer. Les préparations de mon voyage et les affaires de mon frère Philippe, joints à une complaisance de bienséance pour les plaisirs de ma tante, m'ont empêchée jusqu'ici de vous rendre les remerciements que je vous devais pour l'utilité de cette visite; je vous prie de les recevoir à cette heure de

Votre très affectionnée amie à vous servir,

Élisabeth.

Je suis obligée d'envoyer celle-ci par le messager, parce que sa promptitude m'est plus nécessaire, à cette heure, que sa sûreté.