Correspondance choisie de Gœthe et Schiller/1/Lettre 7

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7.

Réponse de Gœthe à la lettre précédente. Appréciation des lettres de Schiller sur l’Esthétique.

J’ai lu tout de suite votre manuscrit avec un grand plaisir ; je l’ai avalé d’un seul coup. Comme une boisson exquise, appropriée à notre nature, glisse d’elle-même dans notre bouche, et, à peine sur la langue, fait sentir son action salutaire par une heureuse disposition de tout le système nerveux ; ainsi vos lettres m’ont causé une agréable et bienfaisante impression. Pouvait-il en être autrement, quand j’y trouvais, présenté sous une forme si noble et synthétique, tout ce que, depuis longtemps, je regardais comme le vrai, tout ce que je louais ou désirais louer. Meyer[1] a pris aussi un vif plaisir à les lire, et son coup d’œil clair et pénétrant est pour moi un sûr garant. Dans cette agréable disposition d’esprit, j’ai failli être troublé par le billet ci-joint de Herder, qui a l’air de nous reprocher, comme la marque d’un esprit étroit, le plaisir que nous prenons à cette sorte de conceptions. Mais dans le domaine des idées, il ne faut pas avoir de règle si rigoureuse, et il est toujours consolant de se tromper, en compagnie d’hommes éprouvés, plutôt à l’avantage qu’au détriment de soi-même et de ses contemporains. Continuons donc, sans trouble et sans inquiétude, à vivre et à agir comme nous le faisons ; dirigeons notre pensée de manière à faire un tout de notre être et de notre volonté, afin de compléter dans une certaine mesure notre œuvre encore fragmentaire. Je conserve vos lettres quelques jours encore pour les savourer de nouveau avec Meyer.

Voici maintenant les Élégies. Faites en sorte, je vous prie, de ne pas vous en dessaisir, mais d’en faire vous-même la lecture aux personnes qui ont encore à juger de leur admissibilité. Après cela, renvoyez-les-moi ; j’y retoucherai peut-être encore quelque chose. Si vous trouvez quelque observation à me faire, ne manquez pas de me la communiquer.

Je fais copier l’épitre ; elle vous parviendra bientôt avec quelques autres petites pièces ; ensuite il me faudra faire une pause : car le troisième livre de mon roman réclame mes soins. Je n’ai pas encore reçu les bonnes feuilles du premier livre ; vous les aurez dès qu’elles m’arriveront.

Quant à l’Almanach des Muses, voici ce que j’ai à vous proposer ; c’est d’y insérer un choix de mes épigrammes. Séparées, elles ne signifient rien ; mais, au milieu de plusieurs centaines qu’on ne peut pas songer à publier, nous en trouverons bien un certain nombre qui se rapportent les unes aux autres et forment un tout. La première fois que nous serons réunis, vous verrez toute cette malicieuse couvée dans son nid.

Portez-vous bien, et que mon souvenir me rende présent au milieu de vous.

Gœthe.
Weimar, le 26 octobre 1794.


Ecrivez-moi donc ce que vous désirez encore de moi pour les Heures, et quand vous en aurez besoin. La seconde épitre s’achèvera dans la première heure d’inspiration.

  1. Meyer, peintre et écrivain distingué, fit la connaissance de Gœthe à Rome, et resta lié avec lui d’une constante amitié. Il a écrit l’histoire des arts plastiques chez les Grecs. Né en 1759 à Stæfa en Suisse, mort en 1832.