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Correspondance d’Orient, 1830-1831/Préface2

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Correspondance d’Orient, 1830-1831
Ducollet (p. i-viii).


Je crois devoir répéter ici ce que j’ai dit dans le court avertissement mis en tête du premier volume de cette correspondance ; je n’ai point la prétention d’avoir fait un livre, ni même un itinéraire de mon voyage ; on ne doit voir ici que des lettres écrites des lieux où je me suis trouvé, que des lettres destinées à l’amusement et quelquefois à l’instruction de mes amis. En les publiant, j’ai pensé qu’il pouvait être intéressant pour les lecteurs de suivre un voyageur qui débarque en Orient avec les illusions que ses études lui ont laissées, avec les surprises que fait naître le spectacle d’un monde nouveau ; j’ai pensé qu’il ne serait pas non plus sans intérêt de voir ce même voyageur perdant, à mesure qu’il avance, quelques-uns de ses enchantemens, et jugeant avec calme et sang-froid ce qui avait d’abord excité son enthousiasme. Lorsque je relis les graves relations de nos voyageurs les plus distingués, je m’étonne d’une chose, c’est qu’ils en savent tout autant lorsqu’ils se mettent en route que lorsqu’ils reviennent ; ils paraissent aussi instruits dans la première page que dans la dernière ; on ne voit pas assez comment la lumière et la science leur sont arrivées.

On a comparé quelquefois notre vie à un voyage ; il serait naturel aussi de comparer un voyage lointain à la vie humaine, qui commence toujours par l’ignorance crédule et par une certaine disposition à être surpris de tout ce qu’on voit. Le premier âge, qui est celui des admirations et des étonnemens, ne passe que trop vite ; bientôt arrive le temps de la maturité, des froides réflexions, des tristes pensées ; le monde où nous sommes perd alors la moitié de ses attraits ; on ne lui trouve plus ce qui nous avait d’abord séduits ; c’est ce qui m’est arrivé pour l’Orient, et le lecteur ne sera pas fâché peut-être de voir dans mes lettres comment l’expérience m’est venue.

J’ai revu avec un très-grand soin toutes les lettres que je publie ; malgré mon travail, les lecteurs y retrouveront encore assez de négligences, assez de fautes, pour se convaincre de la précipitation avec laquelle elles ont d’abord été écrites ; j’y rendais compte de tout ce qui m’arrivait, j’exprimais mes pensées à mesure qu’elles venaient à mon esprit ; le moindre incident avait de l’importance, et quelquefois peut-être m’y suis-je trop arrêté. L’envie de montrer la physionomie morale d’un pays m’aura jeté aussi dans des détails qui pourront paraître communs à des voyageurs plus instruits que moi. Je ne savais pas d’ailleurs assez de choses, et je n’ai pas pu toujours choisir dans ce que j’avais à dire.

Lorsque je suis parti pour l’Orient, je me suis embarqué avec mes souvenirs, avec mes opinions, avec mes sentimens habituels ; mon esprit avec son allure accoutumée, ma manière de considérer les choses de ce monde, ma bonne ou mauvaise humeur, le laisser-aller de ma vie ordinaire, m’ont suivi partout, et ne m’ont pas plus quitté que mes bagages. Tout cela a dû se retrouver dans une correspondance familière, et je n’ai pu l’en faire disparaître. Le plus illustre de nos écrivains, qui m’a précédé dans ce pèlerinage, et dont le souvenir m’a souvent encouragé au milieu des fatigues de la route, regardait son itinéraire en Orient comme une bonne partie de ses Mémoires ; cette manière de juger les voyages d’un homme de lettres m’a toujours paru très-juste, et surtout depuis que j’ai aussi parcouru le monde. Aussi ce que je présente au public est-il moins la relation d’un voyage, que l’histoire particulière d’un voyageur jeté tout à coup au milieu des merveilles, des ruines et des révolutions de l’Orient.

Les descriptions que nous font les voyageurs sont ordinairement de très-beaux panoramas ; mais dans les panoramas tout est silencieux, tout reste immobile, tout paraît inanimé ; en me plaçant moi-même dans celui que je présente à mon tour, en y plaçant des personnages qui parlent et qui agissent, je lui aurai peut-être donné quelque vie.

Je n’ai point écrit pour des savans, et ce n’est pas pour eux que je publie cette correspondance, car je n’ai rien à leur apprendre ; je n’ai pas fait un assez long séjour dans les pays que j’ai visités, pour enseigner à mon retour tout ce qu’ils ont d’instructif et de curieux : ce n’est pas ici l’Orient de la science, mais l’Orient vu pour la première fois par quelqu’un qui ne l’avait connu que dans les tableaux des poètes, et dans les souvenirs de l’histoire. Je ne publie pas non plus ces lettres pour ceux qui ne se plaisent qu’à ce qui est grave et méthodique. En un mot, j’avais écrit pour mes amis, à qui des impressions locales, des traits de mœurs, des observations faites en présence des objets et rédigées à la hâte, n’avaient pas trop déplu ; j’avais écrit pour quelques amis éclairés dont l’approbation a quelquefois encouragé de légères esquisses et de simples causeries sur les pays que j’ai parcourus, et je m’adresse aujourd’hui à des lecteurs qui, j’espère, ne seront pas plus sévères que l’amitié.

Tout ce que je viens de dire pour mes lettres, je le dis pour celles de mon jeune compagnon de voyage, qui a revu avec soin tout ce qu’il a écrit en Orient. On pourra juger à chacune de nos publications ce que l’expérience et les inspirations des régions lointaines peuvent ajouter au talent d’un jeune écrivain.


MICHAUD.