Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 1/0048

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Louis Conard (Volume 1p. 80-81).

48. AU MÊME.
[Rouen, 6 avril 1841.]

Tu n’as qu’à me dire l’heure, le jour que tu désires ma présence, et aussitôt tu me verras. Ainsi, Monseigneur, je n’attends que vos ordres pour me rendre à votre castel et j’y arriverai chez un bon et loyal chevalier (chauve-à-lier), avec beaucoup de pointes, de cigares, d’allumettes phosphoriques allemandes à usage de fumeur (style Coquatrix) ; j’apporterai des blagues et des pipes de diverses grandeurs pour te piper. Je composerai d’ici là quelques vers à ta louange, que je te réciterai de loin, comme dans les tragédies. Ça pourra bien être des vers-seaux, avec bien du mal des vers mi-sots ; heureux si, malgré toute ma peine et le sel que j’y mettrai, j’arrive à faire des vers mi-sel. Tu trouves que c’est déjà assez de verdure comme ça ? Je m’arrête, car à force de répéter la même chose je n’ai l’air que d’un vert-ver ; c’est un air de père-roquet, et avec tous ces vers-là, j’ai l’air lune-attique ! Tu vois que je m’occupe d’histoire grecque !

Voilà déjà que tu es ébahi ; il faut t’attendre à bien d’autres. Tu vas en avoir, un hôte ! Nous nous gaudysserons, pantagruéliserons à mort, buvant d’autant, tambourinant et remuerons nos ventres à […].

Je m’ennuyais de ne pas avoir de tes nouvelles et j’ai résolu de t’écrire pour me convier chez toi. Tu vois que je ne suis pas bégueule. Je ne demande pas mieux que d’aller t’embrasser, causer et blaguer, ayant une foule de sujets, de quoi épuiser l’éternité.

Adieu, je t’embrasse et te serre la main.

Tu peux commander un feu d’artifice et 800,000,000,000 kilogs de pain pour les inondés du Midi, distribution qui sera faite par moi en signe de réjouissance.