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Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 1/0075

La bibliothèque libre.
Louis Conard (Volume 1p. 130-132).

75. AU MÊME.
[Paris, 11 mars 1843.]

À mon retour de Rouen, j’ai enfin trouvé une lettre de toi. Je commençais à désespérer d’en avoir et j’avais envie de te faire mettre dans les petites affiches pour savoir ce que tu étais devenu. Voilà le beau temps maintenant ; il doit faire bon se promener en barque aux Andelys, sur la Seine, On emporterait avec soi de quoi boire et fumer, on se coucherait le dos au fond du canot et on regarderait le ciel.

Va-t’en voir Jean
S’ils y viennent (bis)

Avant un mois, il va falloir songer à un autre examen. C’est comme des coups sur une enclume ; quand un cesse, l’autre reprend. C’est moi qui fais l’enclume. Depuis le mois de janvier je vis assez tranquille, ayant l’air de faire du grec, tirant çà et là quelques lignes de latin pour ne pas lire de français, disant que je vais à l’École de Droit et n’y foutant pas les pieds, fumant beaucoup, dormant très bien, dînant volontiers en ville, surtout chez les gens qui me reçoivent bien, faisant de la littérature et de l’art à toute heure du jour et de la nuit, bâillant, doutant, niaisant et fantastiquant. L’été que je vais passer dans le Code et dans la procédure m’épouvante déjà. J’aimerais autant le passer en Espagne ou en Italie, ou même à Rouen, ma stupide patrie. J’aurais au moins Fessart, qui est un des meilleurs nageurs du monde, et qui sait absorber le rhum et l’anisette autant qu’homme de France. Je trouve que tout s’est arrangé pour le mieux afin que j’enrage : à l’époque où il fait beau, où il fait bon fumer sa petite pipe à l’ombre, sous les noyers ou sous les saules, où le soir il est doux de rester jusqu’à minuit à sa fenêtre à regarder les étoiles et le bleu du ciel, je me livrerai aux limpidités du contrat de mariage, aux douceurs de l’hypothèque, aux clartés de la vente ! Merde !

La présente me quitte en bonne santé ; je vous désire qu’elle vous trouve pareillement. Cette fin m’a été fournie par mon honorable ami le baron Maxime Du Camp, ci-présent pendant que je t’écris cette belle lettre et qui m’empêche de la finir. Il fait du reste tout aussi bien, car je n’ai plus rien à te dire. Mais toi, jeune homme, qui te livre au soulas dans ta province de Vexin, envoie-moi quelque chose.

Addio.