Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 3/0359

La bibliothèque libre.
Louis Conard (Volume 3p. 72-75).

359. AU MÊME.
Cejourd’huy, 26 décembre 1852.

En recepvant, à ce matin, la tant vostre gente épistre, i’ay esté marry, vrayment ; car ès érèbes où pérégrine ma vie songeresse, ces jours dominicaux, par ma soif, sont comme oasis libyques où ie me rafraischys à vostre ombraige et en suis-ie demouré méchanique toute la vesprée, ie vous assure. Oyez pourtant. Par affinité d’esperits animaulx et secrète coniunction d’humeurs absconses, ie me suys treuvé estre ceste septmaine hallebrené de mesme fascherie, à la teste aussy, au dedans, voyre ; pour ce que toutes sortes grouillantes de papulles, acmyes, phurunques et carbons (allégories innombrables et métaphores incongrues, ie veux dire) tousiours poussoyent emmy mes phrases, contaminant par leur luxuriance intempestive, la nice contexture d’icelles ; ou mieux, comme il advint à Lucius Cornelius Sylla, dictateur romain, des poulx et vermine qui issoyent de son derme à si grand foyson que quant et quant qu’il en escharbouylloit, plus en venoyt, et estoyt proprement comme ung pourceau et verrat leperoseux, tousiours engendrant corruption de soy-même, et si en mourut finalement.

Ains vous, tant docte scripteur, qui d’un font caballin espanchez à goulot mirifique vos ondes susurantes, de ce souci ne vous poinctant, ceste tant robuste pucelle qui ha nom muse, comme bon compaignon et paillard lyrique que estes, tousiours la tabourinez avec engin roide, tousiours la hacquebutez, la gitonnez, la biscotez, la glossotez, par devant, par derrière, en tous accoutremens et langaiges, à la Francoyse, à la Sinnoyse, à la Latine, à l’Alexandrine, à la Saphique, à l’Adonique, à la Dithyrambique, à la Persique, à l’Egyptiacque, en cornette, en camail, sur le coing d’ung tonneau, sur les fleurs d’ung pré, sur les coquilles du rivaige, en plain amphithéâtre ou en camère privée, brief en toutes postures et occasions.

Ie me suys bien délecté ce jourd’huy à vos distiques Catulliens. Ie vouldroys en faire tels, si pouvois, ie le dys. Comme Julius Caesar Scaliger (ung consommé ès lettres anctiques, cestuy-là) qui souloyt répéter par enthousiasme, luy plus aimer avoir faict l’ode melpomènéenne du bon Flaccus que estre roy d’Arragon (ce est une province de Hespaigne, delà les monts Pyrénéans, près Bagnères en Bigorre, où vérolés vont prendre bains pour eux guarryr ; allez, si en estes), i’ay donc curiosité véhémente de voir du tout finy votre carmen fossiléen qui estalera la pourtraicture des antiques périodes de la terre et chaos (y devoit estre un aage à rire, par la confusion qu’y estoit) et ie cuyde desia, par le loppin que i’en connoys, que sera viande de mardy-gras, régallade de monseigneur, et y fauldra estre moult riche en entendement poétique, pour en guster à lourdoys la souëve saveur, comme de Chalibon de Assyrie, de Johannisberg de Germanie, de Chiras ès mers Indiques, que magnats seuls hument quand ils veulent entregaudyr aux grandes festes et esbattements dépenciers.

Ains n’avez-vous paour, amy, que tousiours couché comme ung veau et roulant la vastitude de ces choses en la sphéréité de vostre entendement, elles ne cataglyptent une façon de microsme en votre personne et ne vous appréhendent vous-même ? Ce advient aux femmes engroissées, vous savez, qui appètent mangier un connil, ie suppose ; à leur fruict qu’elles font poussent des oreilles de connil sur l’estomach ; ou comme enfantelets qui cogitant, dans leur bers, eux pysser contre un mur, compyssent de vray leurs linceuls ; tant le cerveau ha force, ie vous dys, et met tous atosmes en branle ! Adonc, vos roignons deviendroyent rochiers et les poils du cul palmiers, et la semence demeurant stagnante ès vases spermatiques (comme laictages, l’été, dans les jarres d’argile) se tourneroit en crème, et bientôt en beurre, voyre bitume plustôt, ou lave volcanique dont on feroyt après des pumices, pour bellement polir les marbres des palais et sépulchres. Lors, mousse croystroit au fondement (lequel tousiours est eschauffé par vents tiédis comme ès régions équatoriales), fange serait ès dents, or en aureilles, nacres ès ongles, fucus sur la merde et uystres à l’escalle dans le gozier ; yeux aggrandis et tousiours stillants en place seroient comme des lunes mortes, et perpétuelle exhalaëson poëtique, comme l’on voit de l’Etna en Sicile, issoyroit de votre bouche ! Voyageurs lors viendroient par milliers specter ce poëte-nature, cet homme-monde et ce rapporteroit moult argent au portier. Je m’esgare, ie croys, et mon devis sent la phrénésie Delphique et transport hyperbolique. Si pourtant ne vay-ie tourner mon style, car vous sais-ie compaignon aymant aulcune phantaisie et phantastiquerie, et conchiez de dédain et contemnation (ès continents Apolloniques) ces tant coincts jardinets, à ifs taillés et gazons courts, où l’on n’a place pour ses coudes ne ombre pour sa teste. Ains dilectez contrairement les horrificques forêts caverneuses et spelunqueuses, avec grands chênes, larges courants d’aër embalsamés, fleurs coulourés, ombres flottantes, et tousiours, au loing, quelque hurlement mélancholique, en le dessous des feuilles, comme d’un loup affamé ; et déjà, delà, esbattements spittacéens sur les hautes branches, et singes à queue recourbe, claquant des badigoinces et montrant leur cul.

Or donc, puisque n’avons jà bronché (estant ferrés à glace, ie suppose) ni jà courbé nostre eschine sous le linteau d’aulcune boutique, ecclise, confrayrie, servition quelconque, guardons (ce est mon souhait de nouvel an pour tous deux) ceste sempiternelle superbe amour de Beaulté, et soyons, de par toute la bande des grands que ie invoque, ainsy tousiours labourant, tousiours barytonnant, tousiours rythmant, tousiours calophonisant et nous chéryssant.

À Dieu, mon bon, adieu mon peton, adieu mon couillon (gausche).

Gustavus Flaubertus,
Bourgeoisophobus.