Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 4/0479

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Louis Conard (Volume 4p. 86-87).

479. À LOUIS BOUILHET.
Croisset, 31 août 1855.

J’attends toujours impatiemment des nouvelles de Laugier. Restes-tu à Paris jusqu’à ce que tu aies une réponse définitive des Français ?

Je crois que tu as eu tort de ne pas aller voir Rouvière. Qui sait ? Informe-toi si Samson est du Comité. C’est un mauvais bougre. Mais c’est une bonne chose si tu as Régnier dans ta manche.

Embêté de ne pas avoir la réponse du sieur Fouard, fils de M. Fouard, j’ai été aujourd’hui à Rouen consulter un avocat, à savoir le jeune Nion qui m’a donné toutes les explications désirables ; il viendra demain ici ; nous aurons encore une séance d’affaires.

Quand je serai quitte de ce passage financier de procédures, c’est-à-dire dans une quinzaine, j’arriverai vite à la catastrophe. J’ai beaucoup travaillé ce mois-ci, mais je crains bien que ce ne soit trop long, que tout cela ne soit un rabâchage perpétuel. La venette ne me quitte pas. Ce n’est point comme cela qu’il faut composer !

J’ai été émerveillé dernièrement de trouver dans les Préceptes du style du sieur Buffon nos pures et simples théories sur le susdit art. Comme on est loin de tout cela ! Dans quelle absence d’esthétique repose ce brave dix-neuvième siècle ! — Et la reine d’Angleterre ? et le prince Albert[1].

À propos, qui fréquentes-tu ? Car tu n’es pas un homme à te passer de femmes ? Cherches-tu à te faire une petite maîtresse ? Que diable, un jeune homme !… et un artiste !…

Croisset devient un pays très immoral. Je n’entends parler que de horions que l’on s’administre à cause des mauvaises mœurs. La maîtresse de M. Deschamps, Monsieur, mène une conduite véritablement scandaleuse, etc.

Nous avons reçu aujourd’hui des nouvelles d’Angleterre. Mlle Sophie pondra au commencement d’octobre. Sens-tu le grotesque de ce petit bedon où s’agite un petit anglais ?… Miss Harriet Collier vient de se conjoindre à sir Thomas Campbell, baron de je ne sais quoi ! Et son portrait que j’ai là ne m’en avait rien dit. Encore une Sylphide de moins ! Mon empyrée féminin se vide tout à fait. Les anges de ma jeunesse deviennent des ménagères. Toutes mes anciennes étoiles se tournent en chandelles et ces beaux seins où se berçait mon âme vont bientôt ressembler à des citrouilles.

Adieu, pauvre vieux bougre chéri. Je n’ose te dire que je t’attends ardemment ; mais c’est bien vrai.


  1. Hôtes de la France, à l’occasion de l’Exposition universelle.