Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 4/0537

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Louis Conard (Volume 4p. 189-190).

537. À JULES DUPLAN.
[Croisset, derniers jours de mai 1857.]

Veuillez dire à l’énergumène Crépet de m’envoyer incontinent les renseignements sur Carthage. Je les attends avec curiosité et impatience.

Vos lettres sont courtes, mon vieux. Mais je vous vitupère surtout de laisser là Siraudin. Allons, caleux ! Fa ! outre !!!

Quant à moi, j’ai une indigestion de bouquins. Je rote l’in-folio. Voilà 53 ouvrages différents sur lesquels j’ai pris des notes depuis le mois de mars ; j’étudie maintenant l’art militaire, je me livre aux délices de la contrescarpe et du cavalier, je pioche les balistes et les catapultes. Je crois enfin pouvoir tirer des effets neufs du tourlourou antique. Quant au paysage, c’est encore bien vague ; je ne sens pas encore le côté religieux. La psychologie se cuit tout doucement, mais c’est une lourde machine à monter. Je me suis jeté là dans une besogne bougrement difficile. Je ne sais quand j’aurai fini, ni même quand je commencerai.

Ai-je bien fait d’envoyer ma carte au père Dumas ? il me semble que oui ; car son article, à tout prendre, était favorable, bien qu’il ait lu mon livre légèrement. Je sais pertinemment qu’il y aura un article sur moi dans l’Univers[1] ; je vous le recommande.

J’ai reçu le Cuvillier[2]. C’est d’une insigne mauvaise foi. Remarquez-vous qu’on affecte de me confondre avec le jeune Alex ? Ma Bovary est une Dame aux Camélias, maintenant ! Boum ! Quant au Balzac, j’en ai décidément les oreilles cornées. Je vais tâcher de leur triple-ficeler quelque chose de rutilant et de gueulard où le rapprochement ne sera plus facile. Sont-ils bêtes avec leurs observations de mœurs ! Je me f… bien de ça !


  1. Article de Léon Aubineau, hostile à Madame Bovary.
  2. Journal des débats, 26 mai 1857, voir cet article dans Madame Bovary, notes, p. 527.