Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 4/0569

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Louis Conard (Volume 4p. 248-250).

569. À MADEMOISELLE LEROYER DE CHANTEPIE.
1er mars 1858.

Voici, chère demoiselle, l’indication de quelques livres relatifs à la guerre de Trente-Ans. Je vous demande bien pardon de ne pas vous l’avoir envoyée plus vite.

Mémoires de Richelieu.

Mémoires de Montglat.

Mémoires du maréchal de Grammont.

Mémoires du maréchal d’Estrées.

Mémoires de Montrésor.

Lelaboureur. Histoire du maréchal de Guébriant.

Sarrasin. Histoire de Waldstein.

Aubry. Histoire de Richelieu.

Aubry. Histoire de Mazarin.

Bongeant. Histoire des guerres et des négociations qui ont précédé la paix de Westphalie sous le ministère de Richelieu et de Mazarin, 4 vol. in-12, 1740.

Pons. Résumé de la guerre de Trente-Ans, 1 vol.

Papiers de Richelieu, 2 vol. in-4o, publication du gouvernement.

Les sources allemandes sont nombreuses, mais en voilà assez pour vous occuper pendant quelque temps. Lancez-vous dans ce travail à corps perdu, lisez et annotez le plus qu’il vous sera possible. Vous vous en trouverez mieux, moralement parlant. Notre âme est une bête féroce ; toujours affamée, il faut la gorger jusqu’à la gueule pour qu’elle ne se jette pas sur nous. Rien n’apaise plus qu’un long travail. L’érudition est chose rafraîchissante. Combien je regrette souvent de n’être pas un savant, et comme j’envie ces calmes existences passées à étudier des pattes de mouches, des étoiles ou des fleurs !

Faites de grandes lectures, tout est là. Je vous le répète encore.

Quant à moi, je ne fais rien du tout. Mon hiver a été horriblement gâché et de la plus sotte façon. J’ai eu des affaires, j’ai eu la grippe, j’ai eu des malades autour de moi. Je me suis mêlé des embarras d’un ami que j’ai tirés à clair. Voilà bientôt deux mois que je m’occupe d’une pièce acceptée à trois théâtres, refusée, reprise, etc[1]. J’ai navigué, en un mot, dans une foule de turpitudes et d’ennuis. Mais enfin, depuis jeudi dernier, tout est terminé. Le roman sur Carthage a bien peu avancé pendant tout ce temps-là, et je vais encore l’interrompre, car les préparatifs de mon voyage vont commencer. Je vous écrirai avant de m’embarquer et au retour.

J’ai entrepris une chose bien difficile, mais il n’y a plus à reculer, il faut la continuer ! J’ai peur d’avoir eu les yeux plus grands que le ventre !

Lisez donc un livre qui vous plaira beaucoup : l’Essai sur la Révolution française, de Lanfrey. Il y a aussi du même auteur : l’Église et les philosophes au XVIIIe siècle dont je vous engage à prendre connaissance. Cela est fait dans un esprit très large et très juste.

Voilà le printemps qui va revenir ! Vous vous trouverez mieux aux premiers rayons de soleil, pauvre chère âme endolorie ! Je penserai à vous sur la plage d’Afrique. Mais en attendant je vous envoie mille bonnes tendresses.


  1. Hélène Peyron, de Bouilhet.