Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 4/0592

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Louis Conard (Volume 4p. 283-284).

592. À ERNEST FEYDEAU.
[Croisset, début de décembre 1858.]
Vieux vésicatoire, Distillateur d’impuretés, etc.

L’article Rigault que je viens de lire m’a fait rugir au commencement, puis éclater de rire à la fin. C’est bon, mon vieux, c’est bon, ne t’inquiète de rien. Pioche le Daniel, voilà tout… et serre, n… de D…, serre ! Sois concis et toujours brûûlhant ! Entendè vô ! bhhrrrrrûlant !!!

Comme c’est beau la critique, toujours se f… le doigt dans l’œil et blâmant justement ce qu’il y a de meilleur dans un livre. Au fond le gros Rigault a été peut-être excité ? Je t’assure que cet article-là te fait une très belle balle ! Il en ressort pour le public que tu es un grand homme et que tu dois avoir…, ma parole d’honneur ! ça donne envie de te connaître ! et il n’est pas une marquise qui, en t’abordant, ne te coulera dans le tuyau de l’oreille :

Bien, mon p’tit homme
Tu vas voir comme…, etc.


Quels imbéciles ! Enfin, continuons, mon vieux. Écrivons, nom d’un pétard ! Ficelons nos phrases, serrons-les comme des andouilles et des carottes de tabac. Masturbons le vieil art jusque dans le plus profond de ses jointures. Il faut que tout en pète, monsieur.

Voilà huit jours que je suis complètement seul. Je travaille raide, jusqu’à 4 heures du matin toutes les nuits. Ça commence à marcher, c’est-à-dire à m’amuser, ce qui est bon signe. La solitude me grise comme de l’alcool. Je suis d’une gaieté folle, sans motifs, et je gueule tout seul de par les appartements de mon logis, à me casser la poitrine. Tel est mon caractère.