Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 4/0635

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Louis Conard (Volume 4p. 366-367).

635. À LOUIS BOUILHET.
[Paris] 15 mars 1860.

Jamais ! Jamais ! Jamais ! C’est une enfonçade qu’on te prépare, et sérieuse. Au nom du ciel ! Ou plutôt en notre nom, mon pauvre vieux, je t’en supplie, ne fais pas cela ! C’est impossible de toute manière[1].

Quant à Thierry, il a été gentil ; c’est bien. Mais, 1o tu le mérites, 2o il y avait intérêt. Réponds-lui le plus poliment, le plus longuement possible si tu veux. Mais un voyage est inutile, on t’enfoncerait. Ne cède pas. Ne viens pas à Paris ; dis que tu es tout entier à ta pièce[2], ce qui est vrai, et qu’une comédie servira mieux « les Français » qu’une ode. Ce serait, selon moi, une canaillerie politique et une cochonnerie littéraire. Je défie qui que ce soit de faire là-dessus rien de passable. Laisse de semblables besognes à Philoxène et à Théo. Je t’embrasse. À toi.

Encore une fois et mille fois, non !

P. S. — Quand même ça servirait au commerce de Carthage, non !


  1. Thierry, administrateur général de la Comédie-Française, avait demandé à Bouilhet une « ode patriotique » sur le sujet de l’annexion très prochaine de la Savoie à la France. M. Letellier (op. cit., p. 284) cite la lettre de Thierry, du 13 mars, de laquelle Bouilhet, très embarrassé, prit conseil de Flaubert. (Note de René Descharmes, édition Santandréa.)
  2. L’Oncle Million.