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Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 4/0692

La bibliothèque libre.
Louis Conard (Volume 4p. 449-451).

692. À JULES DE GONCOURT.
Croisset, vendredi [début d’octobre 1861].

Vous êtes bien gentil, mon cher Jules, de m’avoir envoyé ces bougreries puniques. Elles doivent avoir été rapportées par le major Humbert. Je connaissais les poissons et le vase. Mais la troisième (les trois jambes dansant sur un taureau) me fait le plus grand plaisir, bien que je n’y comprenne goutte. Espérons que je trouverai le moyen de l’intercaler quelque part.

Puisque vous vous intéressez à cet interminable travail, je vais vous en donner des nouvelles. Il me reste encore à écrire la fin d’un chapitre ; 2o le chapitre xiv, et 3o le chapitre xv qui sera très court. Bref, j’espère en être débarrassé dans le courant de janvier et je vous dirai bassement que j’aspire à cette époque avec une grande violence. Je n’en peux plus ! Le siège de Carthage que je termine maintenant m’a achevé, les machines de guerre me scient le dos ! Je sue du sang, je pisse de l’eau bouillante, je chie des catapultes et je rote des balles de frondeurs. Tel est mon état.

Et puis, je commence déjà à être las de toutes les stupidités qui seront dites à l’occasion de ce livre, à moins qu’il ne tombe à plat, chose possible. Car où trouver des gens qui s’intéressent à tout cela ?

Mes intentions sont du reste louables. Ainsi, je suis parvenu dans le même chapitre à amener successivement une pluie de merde (sic) et une procession de pédérastes. Je m’en tiens là ! Serai-je trop sobre ?

À mesure que j’avance, je juge mieux l’ensemble qui me paraît trop long et plein de redites. Les mêmes effets reviennent trop souvent. On sera harassé de tous ces troupiers féroces. Et le plan est, malheureusement, fait de telle façon que des suppressions amèneraient des obscurités trop nombreuses, etc., etc. N’importe ! J’aurai peut-être fait rêver à de grandes choses, ce qui est déjà bien gentil.

Je n’ai pas bougé de tout l’été et je n’ai vu personne, sauf Bouilhet, pendant vingt-quatre heures.

Et vous ? Où en est votre Jeune Bourgeoise ? Vous êtes-vous amusés, ces vacances ? Il me semble que vous déambulez beaucoup ?

La Sœur Philomène a dû se vendre très bien, à en juger par les nombreuses bourgeoises de ma connaissance qui en ont été toutes ravies. C’est là le mot.

Qu’en ont dit les abrutis du feuilleton ? Je sais que Saint-Victor vous a fait un très bel article. Mais je ne l’ai pas lu.

Au risque de me répéter, je déclare encore une fois, à la face de Dieu et des hommes (comme M. Prud’homme), que vous avez écrit là un excellent livre.

Bien que vous souteniez dans votre correspondance intime des hérésies, relativement aux répétitions des mots !

Vous êtes-vous gaudis, comme moi, des croix d’honneur semées sur la littérature au 15 août ? Nadaud et Énault m’apparaissent dans les fulgurations de l’étoile… rêvons ! Et quelle joie ç’a dû être pour les chemisiers !

Adieu ; je songe à vous très souvent et vous aime plus que je ne saurais dire. Je vous serre les deux mains et je vous baise sur les quatre joues.

Ex imo.