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Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0778

La bibliothèque libre.
Louis Conard (Volume 5p. 126-128).

778. À SA NIÈCE CAROLINE.
[Paris] lundi, 1 heure [janvier 1864].

Je suis bien aise, mon Caro, de voir que tu es rétablie dans ton assiette. Espérons que toutes nos agitations sont terminées et que le calme va succéder à la tempête ; ta bonne maman m’a l’air d’aller mieux et de ne plus tant se désespérer : tout a une fin, et « des jours tranquilles vont luire », comme dirait « la Divine ».

Pour te raconter toute l’histoire de Faustine, il me faudrait un volume. Apprends seulement que c’est maintenant, grâce à moi, une affaire impériale. Elle sera jouée du 10 au 15 février avec un luxe inouï, toute la Cour y assistera, etc., etc. ; la Porte-Saint-Martin est maintenant aux pieds de Monseigneur. Quant à la Censure, ayant en tête Camille Doucet, elle est furieuse et tremble dans sa peau, ne sachant d’où lui est venu ce terrible coup de bas. Bref, tout va admirablement et ton vieux ganachon d’oncle est content. J’étais né, peut-être, pour les intrigues politiques, car toutes les fois que je m’en suis mêlé, j’ai réussi. Au milieu de tout cela je pense sans cesse à mon roman[1] ; je me suis même trouvé samedi dans une des situations de mon héros. Je rapporte à cette œuvre (suivant mon habitude) tout ce que je vois et ressens. Pour te donner une idée de mes occupations la semaine dernière et de la manière dont moi et mes fidèles trimions sur le pavé, sache que le jeune Duplan n’a fait dans la journée de jeudi que six fois le trajet du boulevard du Temple aux Invalides. Samedi dernier j’ai eu deux rendez-vous, un à minuit et un autre à 1 heure du matin. J’ai été très content de Florimont dans cette affaire : il s’est conduit en brave.

J’étais invité à dîner aujourd’hui chez Mme Cloquet et demain chez Dumont. J’ai refusé l’un et l’autre, n’ayant pas le temps d’y aller.

J’attends maintenant « l’Idiot d’Amsterdam » (devenu exact !!!). Nous allons aller à la répétition de Faustine ; de là aux Variétés pour notre traité ; puis j’irai chez Florimont, puis chez la mère Sand qui est malade et de là au dîner de Magny. Demain je m’enferme ainsi qu’après-demain ; jeudi soir j’irai chez Michelet avec les de Goncourt.

J’ai fait cette nuit une nuit de quatorze heures, m’étant couché à 10 et levé à midi. Je voudrais bien vous voir, d’abord pour vous voir, et puis pour vous conter un tas de choses farces. J’ai dîné samedi chez la princesse Mathilde, et la nuit d’hier (du samedi au dimanche) j’ai été au bal de l’Opéra jusqu’à 5 heures du matin avec le prince Napoléon et l’ambassadeur de Turin, en grande loge impériale. Voilà. Ceci doit être lu en scheik : « Ah ! comme il y a loin de tout cela à notre bonne petite vie de province ! »

Si quelque Rouennais t’interroge sur Faustine, je te supplie, mon loulou, de ne rien dire du tout : il faut être modeste dans la victoire et, quand on fréquente les grands, discret.

Tu t’imagines bien que je n’ai guère pensé à ton Homère. La meilleure traduction que je connaisse est celle de Bareste ; patiente un peu, je te la trouverai.

M. et Mme d’Osmoy demeurent rue Duphot, 8. Comme je leur ai dit que nous devions, ta grand’mère et moi, aller à Trouville cet été, ils se proposent d’y venir en même temps que nous pour jouir de notre compagnie.

Si tu n’assistes pas à la première de Faustine, tu pourras voir celle du Château des cœurs.

Adieu, pauvre bibi. Embrasse bien ta bonne maman et soigne-la de ton mieux.

Reçois-tu toujours de beaux bouquets ?

Suis-je gentil de t’écrire une si longue lettre, hein ?

Je baise tes bonnes joues fraîches.

Ton oncle le timoré.

  1. L’Éducation sentimentale.