Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0837

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Louis Conard (Volume 5p. 201-202).

837. À SA NIÈCE CAROLINE.
Paris, 3 février 1866.
Mon Bibi,

[…] Je mène comme toi une vie agitée, mais non dans le grand monde ; je suis perdu dans les fabriques de porcelaine. J’ai passé hier tout mon après-midi avec des ouvriers du faubourg Saint-Antoine et de la barrière du Trône. J’avais eu, le matin, la visite d’un conducteur de diligence. Je vais aller aujourd’hui à la gare d’Ivry. Rentré chez moi, je lis des traités sur les faïences. Je n’ai pas été au bal des Tuileries ni à celui de l’Hôtel de Ville ; les pots m’occupent trop.

Hier, j’ai dîné avec le père Cloquet ; mardi, je dîne avec le Prince et, mercredi, j’aurai Monseigneur. Voilà toutes les nouvelles.

Comme je comprends que tu sois tannée de Rouen, en général ! Tout cela vous énerve et vous abrutit ; il est sain pour l’esprit de s’en esbigner quand on peut.

Dès que tu seras à Paris, je t’engage à aller voir Batty, le dompteur de lions. C’est le seul spectacle où j’aie été, et où, probablement, j’irai.

Je te fais une prédiction : c’est que, si vous restez à Paris un mois, ta grand’mère ne résistera pas à son ennui et viendra vous retrouver. Elle ferait mieux de s’arranger pour venir avec vous tout de suite.

Adieu, pauvre bibi. Continue à t’amuser, pendant que tu es jeune ; il faut prendre du bon temps quand on le peut, va ! Quant à moi, j’avoue que j’ai revu Paris et mes amis avec grand plaisir. J’ai l’esprit assez perverti et le cœur assez dur pour ne pas regretter la campagne et ne pas sentir le besoin d’aller à la chasse chez Saint-André ; mais ce que je regrette, c’est ta bonne mine à bécoter. Si les adorations de M. le Préfet te laissent quelque loisir, écris à

Ton vieux ganachon qui t’aime tendrement.

Embrasse pour moi ton oiseau, qui est bien gentil.