Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0913

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Louis Conard (Volume 5p. 299-300).

913. À GEORGE SAND.
[Paris] vendredi matin [mai 1867].

Je m’en retourne vers ma mère lundi prochain, chère maître, et d’ici là je n’ai guère l’espoir de vous voir !

Mais quand vous serez à Paris, qui vous empêchera de pousser jusqu’à Croisset, où tout le monde vous adore, y compris moi !

Sainte-Beuve a enfin consenti à voir un spécialiste et à se faire sérieusement traiter. Aussi va-t-il mieux. Son moral est remonté.

La place de Bouilhet lui donne quatre mille francs par an et le logement. Il peut, maintenant, ne plus penser à gagner sa vie, ce qui est le vrai luxe.

On ne parle plus de la guerre, on ne parle plus de rien. L’Exposition seule « occupe tous les esprits » et les cochers de fiacre exaspèrent tous les bourgeois.

Ils ont été bien beaux (les bourgeois) pendant la grève des tailleurs. On aurait dit que la Société allait crouler.

Axiome : la haine du Bourgeois est le commencement de la vertu. Moi, je comprends dans ce mot de « bourgeois » les bourgeois en blouse comme les bourgeois en redingote. C’est nous, et nous seuls, c’est-à-dire les lettrés, qui sommes le Peuple, ou pour parler mieux, la tradition de l’Humanité.

Oui, je suis susceptible de colères désintéressées, et je vous aime encore plus de m’aimer pour cela. La bêtise et l’injustice me font rugir. Et je gueule, dans mon coin, contre un tas de choses « qui ne me regardent pas ».

Comme c’est triste de ne pas vivre ensemble, chère maître ! Je vous admirais avant de vous connaître. Du jour que j’ai vu votre belle et bonne mine, je vous ai aimée. Voilà. Aussi je vous embrasse très fort. Votre vieux

G. F.

Je fais remettre rue des Feuillantines le paquet de brochures relatives aux faïences.

Une bonne poignée de main à Maurice. Un baiser sur les quatre joues de Mademoiselle Aurore.