Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0979

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Louis Conard (Volume 5p. 388).

979. À GEORGE SAND.
[1868 ?]
Chère Maître,

Dans votre dernière lettre, parmi les choses gentilles que vous me dites, vous me louez de n’être pas « hautain ». On n’est pas hautain avec ce qui est haut. Ainsi, sous ce rapport, vous ne pouvez me connaître ; je vous récuse.

Bien que je me croie un bon homme, je ne suis pas toujours un monsieur agréable, à preuve ce qui m’est arrivé jeudi dernier. Après avoir déjeuné chez une dame que j’avais appelée « imbécile », j’ai été faire une visite chez une autre que j’ai traitée de « dinde » ; telle est ma vieille galanterie française. La première m’avait assommé avec ses discours spiritualistes et ses prétentions à l’idéal ; la seconde m’a indigné en me disant que Renan était un « coquin ». Notez qu’elle m’a avoué n’avoir pas lu ses livres. Il y a des sujets sur lesquels je perds patience et, quand on débine devant moi un ami, mon sang de sauvage revient, je vois rouge. Rien de plus sot ! car ça ne sert à rien et ça me fait un mal affreux.

Ce vice-là, du reste, le lâchage des amis en société, me semble prendre des proportions gigantesques.