Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 6/1214

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Louis Conard (Volume 6p. 293-294).

1214. À SA NIÈCE CAROLINE.
[Paris]. Jeudi soir [12 octobre 1871].
Pauvre chère Caro,

Tu m’as bien amusé et bien attendri ce matin avec ton plan de roman ! J’exige que tu le montres à Vieux ! Comprends-tu combien cela me charme de t’avoir pour disciple ? Moi qui n’ai plus d’amis littéraires !

Je tombe sur les bottes ! Néanmoins j’arriverai à mes fins. Il est inutile que je t’ennuie avec le détail de mes courses, ou plutôt que je me fatigue à te les écrire. Bref, je ne désespère pas de faire jouer cet hiver Aïssé aux Français. Mais il faut de l’astuce…

J’ai dîné hier chez les Cloquet. Madame a été extra-charmante, et ce matin j’ai déjeuné chez le bon Feydeau, qui s’est beaucoup informé de toi et qui désire te voir. Il va un peu mieux, car il marche avec une canne.

Comme les intrigues dramatiques avaient un moment de relâche cet après-midi, j’ai passé trois heures à la Bibliothèque impériale, d’où je suis sorti gelé. Il fait très froid et j’ai peur que notre pauvre vieille ne s’enrhume à Ouville.

Il m’est impossible de savoir quand je la rejoindrai : ce ne sera pas toujours avant mardi, car j’ai, pour ce jour-là, rendez-vous avec Perrin.

J’ai vu la femme de Crépet. Elle lui ressemble en beau, c’est-à-dire qu’elle est grande avec un nez pointu ; en somme, jolie et l’air aimable. Mais tout le temps de ma visite, je songeais à l’autre, à la première.

Croirais-tu que la mère Sand a eu peur de m’avoir offensé dans son feuilleton et qu’elle m’a presque envoyé des excuses ? Cette naïveté me paraît tout à la fois très bête et très délicate. Continue, mon pauvre loulou, à ruminer de la littérature. Cela te rapproche de ton vieux chanoine de Séville qui te chérit.

Ton oncle bedolard.