Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 6/1230

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Louis Conard (Volume 6p. 313-314).

1230. À MADAME RÉGNIER.
[Paris] Jeudi soir 7 heures [30 novembre 1871].
Chère Madame,

J’ai eu dans ces derniers temps à m’occuper :

1o Du tombeau de Bouilhet ;

2o De son monument ;

3o De son volume en vers, qui est sous presse depuis hier ;

4o Je cherche un graveur pour faire son portrait ;

5o Tous mes moments depuis quinze jours sont pris par Aïssé que je lis demain aux acteurs[1]. Les répétitions commenceront samedi prochain ; et la pièce pourra être jouée vers le 1er janvier.

Je suis parti de Croisset si brusquement que mon domestique et mes bagages sont arrivés trois jours après moi. Le détail des intrigues qu’il m’a fallu vaincre demanderait un volume.

J’ai fait engager des acteurs. J’ai travaillé moi-même les costumes au Cabinet des Estampes ; bref, je n’ai pas un moment de répit depuis quinze jours, et cette petite vie exaspérante et occupée va durer du même train pendant deux bons mois encore.

Quel monde ! Je ne m’étonne pas que mon pauvre Bouilhet en soit mort. De plus j’ai re-écrit la Préface de son volume, qui me déplaisait.

Je vous prie donc, en grâce, de me donner un peu de liberté pour le moment, car avec la meilleure volonté du monde il m’est impossible de faire à la fois les affaires de tous. Je vais au plus pressé, d’abord.

D’ailleurs, vous avez tort de vouloir publier maintenant. À quoi cela vous servira-t-il ? Où sont les lecteurs ?

Je ne vous cache pas que je trouve vos aimables reproches, touchant le voyage de Mantes, injustes. Comment ne comprenez-vous pas qu’il me sera très pénible d’aller à Mantes ? Toutes les fois que je passe devant le buffet, je détourne la tête. Je tiendrai néanmoins ma promesse. Mais il me sera plus facile d’aller de Paris à Mantes que de m’y arrêter en passant. Ne me gardez donc pas rancune ; plaignez-moi plutôt.


  1. Lecture d’Aïssé à l’Odéon, 1er décembre 1871.