Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 6/1352

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Louis Conard (Volume 6p. 449-450).

1352. À GEORGE SAND.
[Croisset] lundi soir, 11 heures [25 novembre 1872].

Le facteur, tantôt, 5 heures, m’a apporté vos deux volumes. Je vais commencer Nanon tout de suite, car j’en suis fort curieux.

Ne vous inquiétez plus de votre vieux troubadour (qui devient un sot animal, franchement), mais j’espère me remettre. J’ai passé, plusieurs fois, par des périodes sombres et j’en suis sorti. Tout s’use, l’ennui comme le reste.

Je m’étais mal expliqué : je n’ai pas dit que je méprisais « le sentiment féminin », mais que la femme, matériellement parlant, n’avait jamais été dans mes habitudes, ce qui est tout différent. J’ai aimé plus que personne, phrase présomptueuse qui signifie « tout comme un autre », et peut-être plus que le premier venu. Toutes les tendresses me sont connues, « les orages du cœur » m’ont « versé leur pluie ». Et puis le hasard, la force des choses fait que la solitude s’est peu à peu agrandie autour de moi, et maintenant je suis seul, absolument seul.

Je n’ai pas assez de rentes pour prendre une femme à moi, ni même pour vivre à Paris six mois de l’année : il m’est donc impossible de changer d’existence.

Comment, je ne vous avais pas dit que Saint Antoine était fini depuis le mois de juin dernier ? Ce que je rêve, pour le moment, est une chose plus considérable et qui aura la prétention d’être comique. Ce serait trop long à vous expliquer, avec la plume. Nous en causerons face à face.

Adieu, chère bon maître adorable, à vous, avec ses meilleures tendresses.

Votre vieux.

Toujours HHindigné comme saint Polycarpe !

Connaissez-vous, dans l’histoire universelle, en y comprenant celle des botocudos, quelque chose de plus bête que la Droite de l’Assemblée nationale ? Ces messieurs qui ne veulent pas du simple et vain mot République, qui trouvent Thiers trop avancé !!! Ô profondeur ! problème ! rêverie !