Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 7/1436

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Louis Conard (Volume 7p. 118-119).

1436. À MADAME ROGER DES GENETTES.
Paris [18 février 1874].

Si vous n’avez pas de manuscrit, c’est qu’il n’en existe pas de lisible (j’ai cependant payé comme frais de copie cent soixante-trois francs) ; bref le souffleur ou plutôt la souffleuse peut seule s’y reconnaître, et tous les jours je la supplie de me faire un manuscrit lisible. Messieurs les censeurs sont revenus, hier, sur le Candidat et, après avoir assisté à la première des répétitions générales, ont donné leur visa. Donc de ce côté plus d’inquiétudes ! Mais ma pièce a été (je l’ai appris par Chennevières) « une grosse affaire », et si le gouvernement n’avait pas craint un joli engueulement de votre ami, on l’eût interdite. Il est vrai que c’est parce que c’était moi qu’on était si mal disposé. Je serai toujours suspect à tous les gouvernements sans en attaquer aucun, et cela m’honore. Ma première aura lieu samedi prochain, ou lundi, ou mercredi. Je n’y comprends plus rien ! L’audition de la moindre de mes phrases me donne la nausée, et ce que j’entends de bêtises est inconcevable. Et des conseils !… Pas n’est besoin de vous dire que je n’en écoute aucun.

Je suis harcelé par les demandes de places ; j’ai une grippe abominable, je tousse, je mouche, je crache et j’éternue sans discontinuer, avec accompagnement de fièvre la nuit. De plus un joli bouton fleurit au milieu de mon front entre deux plaques rouges. Bref, je deviens extrêmement laid et je me dégoûte moi-même. Avec tout cela l’appétit se maintient et l’humeur est gaillarde. Je crois que je me conduirai bien le jour de la première.

J’ai donné le dernier bon à tirer de Saint Antoine, il y a plus de douze jours. Vous recevrez mon bouquin, comme poisson, le 1er avril et une copie du Candidat dès que j’en aurai une. Pourquoi n’êtes-vous pas là ? ce serait plus simple.

Croyez, chère Madame, à mon inaltérable affection.