Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 7/1590

La bibliothèque libre.
Louis Conard (Volume 7p. 317-318).

1590. À SA NIÈCE CAROLINE.
[Croisset], samedi, 5 h et demie [8 juillet 1876].
Pauvre Loulou,

Je me doutais bien que tu ferais un voyage pénible jeudi, à cause de l’extrême chaleur, et que ma poulotte arriverait quasi liquéfiée dans la patrie de Rabelais[1]. Donne de ma part une pensée de respect et d’adoration devant la maison qu’on montre pour la sienne. La description que tu me fais de celle où tu gîtes présentement est alléchante : un tel lieu doit plaire à un ⦚ ⦚ comme toi. As-tu emporté un album, de quoi faire un croquis en voyage ?

Quant à moi, je n’ai rien à te dire. C’est demain qu’a lieu le baptême de M. Collange fils[2]. La mère, l’enfant et le père se portent bien…

J’ai eu la visite, avant-hier, du bon Sabatier[3] ; il reviendra me voir la semaine prochaine. En voulant remonter la marée, il y a huit jours (et elle était violente), M. Vieux s’est donné un effort dans la hanche gauche. Pendant plusieurs jours j’en ai boité. Maintenant il n’y paraît plus, et hier j’ai recommencé mes exercices natatoires, mais avec plus de modération. Je travaille beaucoup, cependant je n’avance guère. Crois-tu que, depuis trois semaines, j’ai fait sept pages ; et mes journées sont longues pourtant ! N’importe ! je crois que ça ne sera pas mauvais. Mais dans le commencement, je m’étais emballé dans de trop longues descriptions. J’en enlève de charmantes : la littérature est l’art des sacrifices…

M. du Hamel, le nouveau locataire, est venu me faire une visite. C’est un bourgeois de bonnes manières. Il désire qu’Ernest lui signe son bail, mais je ne vois pas venir ton mari.

J’ignore absolument ce qui se passe dans le monde, ne recevant aucun journal et n’en sentant pas le besoin. Quelquefois seulement, Émile me prête le Petit Moniteur quand il y trouve une chose qu’il croit intéressante pour son maître.

Parle-moi donc de Fanny. L’as-tu vue avant ton départ ? Connais-tu son époux ? Maintenant, elle va faire tout à fait partie de « la Haute ! »

Quand est-ce que cette bonne Flavie vient te retrouver ?

Fais toutes mes amitiés à Mme de La Chaussée et embrasse pour moi Mlle Jane.

Adieu, pauvre chère fille.

Un bon bécot de

Ta nounou.

  1. Mme Commanville était à Chinon, chez Mme de La Chaussée.
  2. Fils des domestiques, Émile et Marguerite.
  3. Le mari de Frankline Grout, l’amie de Mme Commanville.