Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 7/1630

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Louis Conard (Volume 7p. 381-382).

1630. À LA PRINCESSE MATHILDE.
Jour de Noël [1876].

Hélas, chère Princesse, je ne serai pas la samedi prochain pour vous souhaiter la bonne année. Mais mon cœur sera chez vous, n’en doutez pas ! Car personne, plus que moi, ne vous désire heureuse.

Il faut que je reste dans ma solitude pour activer ma besogne, si je veux faire paraître un volume au printemps prochain, et j’ai besoin qu’il paraisse.

Quand vous serez un peu sortie des embarras et ennuis du jour de l’an, écrivez-moi un peu pour que j’aie de vos nouvelles. La vue seule de votre écriture est une fête pour moi.

J’ai lu l’article de Renan[1], dont vous me parliez dans votre dernière lettre. Il explique absolument ce qu’est l’homme, lequel est très haut selon moi. Son invocation à Minerve me semble du plus grand style. Je n’ai pu m’empêcher de lui écrire mon admiration. Nous autres, qui sommes des Latins, nous ne comprenons guère ces natures rêveuses, un peu troubles, et toujours flottantes comme des nuages ; il faut les prendre ainsi pourtant. Leur mouvement oscillatoire paraît de la versatilité. Rien, au contraire, n’est plus solide ! Mais il ne faut pas exiger d’elles une carrure n’appartenant qu’aux esprits taillés par assises et d’un aplomb constant.

Je suis très honoré que la reine de Hollande se soit souvenue de moi. Je ne lui ai parlé que pendant une minute, mais ne demanderais pas mieux que de la connaître davantage.

Des gens qui s’y entendent m’ont beaucoup vanté son esprit.

Qu’avait donc le pauvre Giraud ? Comme je le plains du chagrin, du tourment que lui donne sa femme. Rien n’est plus triste que de voir souffrir ceux qu’on aime.

Que 1877 vous soit tolérable ! Et croyez pour cette année-là, comme pour les suivantes, à l’entier dévouement

de votre vieux fidèle.


  1. La Prière sur l’Acropole (Revue des Deux Mondes, 1er septembre).