Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1699

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Louis Conard (Volume 8p. 67-68).

1699. À SA NIÈCE CAROLINE.
[Paris], jeudi, [6 septembre 1877].
Mon pauvre Chat,

Je suis bien content du ton de ta dernière lettre (celle de mardi), que je viens de lire en rentrant de Saint-Gratien. J’y retournerai peut-être, mais je n’y coucherai plus. Est-ce moi qui deviens insociable, ou les autres qui bêtifient ? Je n’en sais rien. Mais la société du « Monde », actuellement, m’est intolérable ! L’absence de toute justice m’exaspère ! et puis le défaut de goût ! le manque de lettres et d’esprit scientifique !

Mon intention est de partir d’ici à la fin de la semaine [prochaine], de dimanche en huit. Aussitôt rentré à Croisset, j’en repartirai pour les régions visitées par Bouvard et Pécuchet. Déjà je voudrais en être revenu, re-installé à ma table, et en train d’écrire. Voilà le vrai. Charpentier, que je n’ai pas encore vu, se propose (je le sais par un de ses commis) de faire un nouveau tirage des Trois Contes, et de Saint Antoine ! ce qui me flatte davantage.

Puisque tu te livres à la littérature légère jusqu’au point de lire du Féval, je te recommande les Amours de Philippe, par Octave Feuillet. Lis cela ! afin que je puisse rugir avec toi ! Voilà un livre distingué. Tout s’y trouve, c’est « charmant ».

La mort du père Thiers m’embête. J’ai peur qu’un grand nombre de bourgeois, par peur de Gambetta, ne votent pour cet idiot de Maréchal. M. le préfet de la Seine-Inférieure, notre divin Limbourg, a empêché au Havre une conférence sur « la Configuration géologique de la Terre ! » et on veut que je ne sois pas toujours indigné… !

J’ai vu le jeune Guy, retour de Suisse. Les eaux de Louèche lui ont fait du bien au « système pileux ».

Mme Régnier me demande, dans une lettre, de lui faire une préface pour le roman d’elle, que va imprimer Charpentier. Je déclinerai cet honneur. Tant pis si elle se fâche. Ces espèces de recommandations au public puent le Dumas ! Merci. Elle devrait assez me connaître pour s’épargner cette requête… Elle me charge de te rappeler ta promesse, avec force compliments pour M. et Mme Commanville.

Nouvelle scie qu’on me fait pour l’Académie française ! Cette fois, elle vient d’Augier ! Pas si bête, moi, j’ai « des Principes ».

Adieu, pauvre chère fille. Continue à te promener et à te bien porter.

Ta vieille Nounou.