Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1847

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Louis Conard (Volume 8p. 262-263).

1847. À EDMOND DE GONCOURT.
Jeudi, 1er mai [1879].
Mon cher Ami,

Je suis enchanté de votre bouquin[1].

Dans les premières pages je vous ai cherché quelques chicanes de détail comme « et avec », « sur eux », etc., puis, zut ! emballage complet. Plusieurs fois je me suis retenu pour ne pas pleurer, et cette nuit j’en ai eu un cauchemar (sic).

Ne pas avoir fait mourir Nello est d’un goût exquis, précisément parce que le lecteur s’attend à sa mort.

J’ai retrouvé toutes mes sensations de fracture, la douleur au talon et la peur des béquilles. Enfin, mon cher ami, on n’aime pas vos deux frères, on les adore. Personne, je crois, ne comprend mieux que moi les dessous de votre bouquin. C’est ferme, rapide, coloré, très artiste et pas artistique, Dieu merci ! On voit vos personnages, le père Bescapé, sa femme, le chien, etc., etc. La Talochée m’excite. La Tompkins est une bonne figure. Bref, rien de vulgaire dans les détails, et un chouette ensemble.

En revanche, je désapprouve la Préface, comme intention. Qu’avez-vous besoin de parler directement au public ? Il n’est pas digne de nos confidences. « Cache ta vie », dit Epictète.

Autre histoire : Tourgueneff qui, en huit jours, ne m’a manqué de parole que quatre fois, m’annonce ce matin, sa visite pour dimanche.

Je compte ensuite sur la vôtre et, afin de jaspiner ensemble plus commodément, sur la vôtre sans accompagnement. Voulez-vous venir avant ou après le convoi Zola-Charpentier-Daudet ? Arrangez-vous avec lesdits sieurs.

Vu l’insuffisance de mon personnel, je ne peux pas recevoir plus de trois hôtes à la fois.

Réponse prochaine, hein ? et de nouveau bravo, bravissimo, mon cher ami, en vous embrassant tendrement. Vôtre.


  1. Les frères Zemgano.