Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1932

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Louis Conard (Volume 8p. 351-352).

1932. À GUSTAVE TOUDOUZE.
Croisset, 21 janvier 1880. Mercredi soir.

J’ai passé toute l’après-midi à vous lire, mon cher ami, et je vous crie bien haut bravo ! sans restriction aucune.

Jules de Goncourt m’appelait « un gros sensible ». Ce qu’il y a de sûr, c’est que j’ai eu souvent les yeux mouillés. Une fois même, il a fallu prendre son mouchoir ! Votre roman[1] déborde de sensibilité ou plutôt de sentiment, ce qui vaut mieux ; et pas de mièvrerie, pas de grimace. Cela est sain et bon, et habile, car l’intérêt ne se ralentit pas une minute. J’ai dévoré vos 370 pages !

L’émotion m’a empoigné au dîner du médecin, quand il rentre chez lui, et elle n’a cessé. Mais vous avez du TALENT, mon camarade ! Aucun mot ne m’a choqué ; rien de vulgaire. Ce livre-là doit vous faire adorer des femmes, et apprécier, applaudir par les artistes.

On voit que vous aimez votre mère, c’est senti. Gardez-la le plus longtemps que vous pourrez. Je vous envie !

Je n’aime pas beaucoup la mort de Fourgerin, qui ne meurt qu’après avoir fait sa recommandation à Gaston. Cela est un peu voulu. C’est la seule tache que j’aperçoive.

L’épilogue est fort beau, le retour de tendresse de Mme Lambelle pour sa bru.

Dans la vieille Claudine, il y a des naïvetés adorables.

Enfin le problème est résolu : moral et pas c… !

Encore une fois, mon cher ami, toutes mes félicitations bien sincères, et à vous ex imo.


  1. Madame Lambelle.